Il n'est plus un jour qui passe sans que les Chrétiens d'Orient, en survie permanente, ne paient dans leur chair le prix de l'intolérance et du fanatisme. Il n'est plus un jour qui ne creuse un peu plus le sillon vers une mort annoncée.
Une extinction à laquelle nous restons dramatiquement sourds et aveugles. Cet anéantissement qui se déroule sous nos yeux est d'une extrême gravité, sur le plan de la conscience humaine mais également pour l'avenir de l'Orient tout entier. Aujourd'hui, qui se préoccupe encore de cette minorité arabe ? La terre ancestrale sur laquelle ces chrétiens d'Orient dépérissent serait-elle trop lointaine ou "trop compliquée" ? Ces Arabes non musulmans seraient-ils trop orientaux pour être tout à fait compris des Occidentaux ? Trop chrétiens pour l'être des Musulmans ou des progressistes laïques ?
Après les femmes, que les fanatiques tentent de marginaliser et d'exclure de la société et du monde, les chrétiens d'Orient, qui ont été, ironie du sort, les premiers à aborder la question des femmes, sont devenus le nouveau bouc émissaire, le symbole d'une modernité insupportable. Ces Chrétiens arabes, que l'on assassine ou que l'on jette sur les routes de l'exil, sont chez eux, en Orient, où leur présence bimillénaire est antérieure à l'islam. Leur rôle et leur influence ont été déterminants tant dans l'histoire du monde arabe. C'est pourquoi avec la disparition des chrétiens d'Orient, disparaît un élément dynamique des sociétés arabes. Sans remonter à la place essentielle des intellectuels chrétiens dans la renaissance culturelle et politique arabe du 19ème siècle, la Nahda, les communautés chrétiennes ont joué un rôle décisif dans le grand mouvement national qui a marqué la région.
A la pointe de la laïcisation, ils ont été les premiers à penser l'intégration politique de toutes les minorités religieuses dans un même mouvement de revendication nationale, de lutte anticolonialiste et d'émancipation. Ils ont été les premiers à élaborer une constitution où la référence essentielle ne serait plus la religion, mais le nationalisme arabe, débarrassé des inégalités confessionnelles. Aujourd'hui, ce mouvement vers la modernité est stoppé net par le repli identitaire et religieux, souvent meurtrier. Ces réflexes d'un autre âge ont relégué les chrétiens, qui partagent avec les autres habitants la même langue, la même culture et qui vivent parfois les mêmes difficultés, à une citoyenneté de seconde zone. De la capacité des Chrétiens d'Orient à surmonter leurs épreuves, leur peur et leur isolement, dépendra non seulement leur survie, la paix dans cette région où se joue prioritairement le destin du monde mais également notre capacité à vivre-ensemble en Occident.
Par effet de miroir, les chrétiens d'Orient nous renvoient à notre propre altérité et à la place des musulmans dans nos sociétés occidentales. Les chrétiens d'Orient et les musulmans de France et d'Occident représentent dans leur société respective, l'image de l'autre. Ils doivent à la société qui est la leur d'être des remparts contre toute forme de régression et de fanatisme, des outils du dialogue et du vivre-ensemble. Ils sont tout les deux les garde-fous contre l'intolérance et l'obscurantisme. Et à ce titre, l'avenir des communautés chrétiennes est inséparable du nôtre. Leur disparition risque de donner raison aux tenants du "choc des civilisations" qui cristallise cette pseudo fracture entre Orient et Occident. Une thèse dévastatrice mais qui hélas s'installe de plus en plus dans l'imaginaire de certains en Occident.
Notre silence, notre ignorance et les non-dits sont autant de menaces mortifères, non moins dangereuses que la "croisade" ou le "djihad" que certains veulent mener. C'est pourquoi, ici en France, nous, et citoyens français, militants laïques et de foi musulmane, nous crions notre souffrance et notre colère contre l'injustifiable. Arabes chrétiens ou Chrétiens arabes, nous ne dissocions pas l'un de l'autre, nous dénonçons cette barbarie et nous appelons à la mobilisation de tous les citoyens épris de justice et de liberté. Si l'on ne réagit pas, il n'y aura bientôt plus de chrétiens en Orient. Il faut donc s'y employer d'extrême urgence. Aider les chrétiens d'Irak ou d'Égypte à rester, chez eux, sur leur terre. Ce n'est pas en organisant leur sortie d'Orient que l'on tarira la source des morts et de l'exode. Pour écraser l'infâme, comme dirait Voltaire, tous les esprits éclairés doivent se mobiliser pour que la barbarie ne dicte pas sa loi. Les chrétiens d'Orient sont en train de mourir. Et cela nous concerne tous.