Une épidémie d'arthrite (arthrite de Lyme) est à l'origine de la découverte de la maladie de Lyme dans les années 1977-78, décrite comme une maladie multisystémique transmise par les tiques. Cinq ans plus tard le spirochète responsable de cette maladie est découvert et sera nommé Borrelia burgdorferi en l'honneur de son découvreur, le Dr Willy Burgdorfer. En Europe six espèces de borrélies sont décrites actuellement et nous faisons état des connaissances actuelles sur l'épidémiologie. Nous passons rapidement en revue les stades de la maladie. Des conseils pratiques pour une approche diagnostique de l'arthrite de Lyme vous sont proposés.
Historiquement, l'arthrite de Lyme est à l'origine de la découverte de la maladie de Lyme et par extension de la borréliose de Lyme en Europe et en Asie. Une épidémie d'arthrite chez des enfants de la région de Lyme, dans le Connecticut aux Etats-Unis d'Amérique, en est le point de départ. Le refus, par des mères de famille, du diagnostic d'arthrite rhumatoïde juvénile posé par les médecins de la région a été le facteur déclenchant. Puis il a fallu la sagacité du Dr Alan Steere et de son équipe de l'Université de Yale 1 pour la mise en évidence de l'association de la piqûre de tique, de l'érythème migrant, de l'arthrite (de Lyme), ainsi que d'autres symptômes, formant ce qu'ils ont appelé la maladie de Lyme. Malgré d'intenses recherches microbiologiques sur les tiques, les chercheurs de l'Université de Yale n'ont pas découvert l'agent pathogène. Finalement, la curiosité scientifique et le coup d'il expert et attentif du Dr Willy Burgdorfer, biologiste bâlois travaillant aux laboratoires des Montagnes Rocheuses (Hamilton, Montana, Etats-Unis) depuis près de trente ans, lui ont permis de découvrir la bactérie responsable.2 Ensuite, les choses se sont rapidement enchaînées, le Dr Barbour réussissait à cultiver la bactérie dans un milieu modifié de Stoenner-Kelly. De plus, la présence d'un spirochète semblable chez des Ixodes ricinus reçus de Suisse a été confirmée.3 Par la suite le spirochète fut appelé Borrelia burgdorferi en l'honneur de celui qui l'avait découvert.
Les tiques du complexe Ixodes ricinus (I. scapularis, I. persulcatus, I. ovatus, I. pacificus, etc.) ont besoin d'une humidité relativement élevée pour survivre. Elles se rencontrent dans les régions tempérées de l'hémisphère Nord. Pour I. ricinus, la zone de répartition va du nord de la Suède, au-delà du cercle polaire, aux côtes Nord de l'Afrique (Maroc, Tunisie) et d'Ouest en Est, du Portugal aux chaînes de l'Oural. Les populations importantes d'I. ricinus se trouvent dans les forêts humides de basse altitude et généralement diminuent avec l'altitude.4 On les rencontre jusqu'à 1200 mètres, exceptionnellement 1500 mètres. I. ricinus est une tique dite exophile, c'est-à-dire qu'elle passe l'essentiel de son existence à l'affût sur la végétation, en attente d'un hôte de passage. Elle s'accroche à tout ce qui bouge, puis cherche un endroit où piquer. Il faut savoir que la piqûre est totalement indolore pour l'homme (figure 1). Ce n'est qu'après quelques jours que des démangeaisons locales apparaissent et la tique est souvent éliminée par grattage. Ne reste alors qu'une «piqûre d'insecte» anodine. C'est une des raisons pour laquelle la majorité des patients ne se souviennent pas d'une piqûre de tique. On estime que 70 à 80% des piqûres de tiques passent inaperçues.
Borrelia burgdorferi est présente dans toutes les régions tempérées où se trouve I. ricinus ou des tiques appartenant à ce complexe. La borréliose de Lyme est la maladie à tiques la plus répandue dans le monde. En Europe six espèces de borrélies ont été identifiées dans les I. ricinus : Borrelia burgdorferi, B. garinii, B. afzelii, B. valaisiana, B. lusitaniae et B. spielmani.5 En Suisse, à l'exception de B. spielmani, les cinq autres espèces ont été détectées.6,7 Actuellement seules trois de ces espèces ont été régulièrement identifiées chez les patients atteints de borréliose de Lyme : B. burgdorferi, B. garinii et B. afzelii. Cependant, B. spielmani a été isolée d'une biopsie de peau d'un patient avec un érythème migrant (EM) de même que B. lusitaniae 8 et B. valaisiana ont été détectées par PCR (polymerase chain reaction) dans le LCR d'un patient avec une atteinte neurologique.9
Les larves d'I. ricinus se nourrissent essentiellement sur les petits rongeurs forestiers (mulots et campagnols) qui sont les réservoirs connus de B. afzelii. Un autre cycle est décrit avec les oiseaux, réservoirs de B. garinii et B. valaisiana qui peuvent ainsi être transmises aux nymphes. Les mammifères, tels que les écureuils, nourrissent les tiques adultes et sont des réservoirs potentiels de B. burgdorferi sensu stricto. Il est probable que d'autres grands mammifères participent également au cycle de B. burgdorferi sensu stricto.10 Le lérot ou loir masqué (Eliomys quercinus) vient d'être identifié comme un réservoir potentiel de B. spielmani.5
En Suisse B. burgdorferi sl est observée partout où I. ricinus est présent.4 Globalement une tique sur trois est porteuse de borrélies en Suisse, avec des variations régionales allant de 10-50% de tiques infectées. Heureusement pour nous, la transmission n'est généralement pas suffisante pour provoquer une maladie. Dans la grande majorité des cas, notre système immunitaire se débarrasse efficacement des borrélies. Dans 4-5% des cas une séroconversion apparaîtra dans les mois qui suivent et chez environ 1% des personnes piquées par une tique, un érythème migrant va se développer.11 Une étude plus récente menée dans la région de Neuchâtel (région de haute endémie) a toutefois démontré des chiffres nettement plus élevés, soit 20% de séroconversion et 5% d'érythème migrant.12
Les manifestations cliniques de la borréliose de Lyme peuvent être divisées en trois stades.
Un stade précoce localisé, caractérisé par l'érythème migrant. Cette atteinte dermatologique, lorsqu'elle est typique est diagnostique de l'infection. Elle apparaît à l'endroit de la piqûre de la tique. Habituellement, ces lésions sont asymptomatiques, ou légèrement prurigineuses et passent facilement inaperçues. En Europe, l'érythème migrant multiple, dû à une dissémination des spirochètes à partir du site d'infection, est beaucoup plus rare qu'aux Etats-Unis.
Seul l'érythème migrant peut être diagnostiqué de façon purement clinique, et ne nécessite pas de confirmation de laboratoire. Il apparaît dans les jours ou les semaines (trois à cinq) après la piqûre de tique.
Le deuxième stade que l'on peut appeler stade précoce disséminé se manifeste par une maladie disséminée survenant dans les semaines ou les mois qui suivent une piqûre de tique. Les organes et tissus les plus fréquemment atteints sont la peau, le cur, le système nerveux, l'appareil musculo-squelettique avec principalement des arthralgies migrantes.
Enfin, l'infection tardive ou chronique, survient des mois ou des années après l'exposition aux borrélies. Elle prend des formes de maladies chroniques articulaires, cutanées et neurologiques, surtout. La symptomatologie, peu spécifique, ouvre un diagnostic différentiel très large (figure 2). Seuls les examens de laboratoire, effectués sur le sérum, le LCR, le liquide synovial ou une biopsie de synovie, une biopsie de peau peuvent confirmer ce diagnostic.
Le diagnostic de la borréliose de Lyme est, au stade précoce, basé sur la présence de l'érythème migrant, cette lésion caractéristique de l'infection à B. burgdorferi sl. L'anamnèse de piqûre de tiques n'est rapportée que chez un tiers des patients. Toutefois un certain nombre de lésions atypiques et toutes les autres manifestations cliniques de la borréliose de Lyme exigent des examens complémentaires. La sérologie est l'outil de base, même si la sensibilité des tests au stade précoce est encore limitée (sensibilité de 50% environ) et une spécificité qui généralement nécessite une confirmation par des tests immunoblots.
Lors d'infections chroniques la réaction sérologique (IgG) du patient est dirigée contre de nombreuses protéines de Borrelia et tend à devenir plus spécifique à l'espèce et probablement à la souche qui l'infecte. En Europe, une association entre les différentes espèces de B. burgdorferi sl et certains symptômes de la borréliose de Lyme a été décrite sur la base du typage génétique des souches de borrélies isolées de l'homme ou de réactions sérologiques spécifiques. Ainsi, B. burgdorferi ss est préférentiellement retrouvée dans l'arthrite de Lyme, B. afzelii dans l'acrodermatite chronique atrophiante et B. garinii dans la neuroborréliose. Ces associations ne sont toutefois pas absolues, ainsi qu'en témoignent les isolements de borrélies de liquides céphalorachidiens avec environ 60% de B. garinii, 30% de B. afzelii et 10% de B. burgdorferi ss. Par sérologie avec des immunoblots, incluant quatre espèces de borrélies, nous avons obtenu des résultats très comparables.13
Les méthodes d'amplification génique (PCR) ont un rôle de plus en plus important à jouer dans le diagnostic des maladies infectieuses et de la borréliose de Lyme en particulier.14 L'évaluation extensive de toute PCR pour Borrelia est cruciale, en raison de la variabilité importante d'une certaine partie du génome et la diversité des espèces de borrélies en Europe, en particulier. Les principales difficultés sont liées au nombre très faible d'organismes présents dans les échantillons cliniques. Actuellement, nous pouvons recommander cet examen pour les liquides articulaires et les biopsies cutanées, où la sensibilité est de l'ordre de 60-80% des cas de borréliose de Lyme. Le typage des amplicons (matériel amplifié) peut être effectué par plusieurs méthodes qui exigent souvent beaucoup de manipulations et de temps. Avec l'apparition des PCR en temps réel l'étude des courbes de fusion (melting curve) en particulier, permet de différencier rapidement et avec précision les espèces de borrélies, pour autant que l'amplification soit suffisante. Le tableau 1 résume les résultats du diagnostic d'arthrite de Lyme par sérologie et par PCR sur 232 liquides articulaires soumis pour analyse dans notre laboratoire durant les quatre dernières années. Au total 207/232 (89,2%) résultats étaient concordants pour les deux méthodes (181 négatifs et 26 positifs). Si l'on cumule les résultats positifs des deux méthodes, cinquante et un sont détectés, dont quarante-six (90,2%) par sérologie et trente et un (60,8%) par PCR. Dans trois cas (cinq liquides articulaires du genou) la PCR était positive alors que la sérologie était négative et l'est restée dans un cas suivi à trois mois (PCR toujours positive et sérologie négative). Ce patient, mis sous traitement antibiotique après la deuxième PCR, n'a plus eu de récidive. Le deuxième patient a eu deux PCR positives sur des liquides articulaires à quinze jours d'intervalle, la sérologie étant négative. Ce patient a été mis au bénéfice d'un traitement antibiotique pendant quinze jours. Un mois plus tard le patient avait toujours un épanchement modéré et la PCR réalisée sur ce prélèvement était négative. La sérologie par contre était devenue positive. Ces situations particulières, mais rares, illustrent la présence d'arthrites de Lyme à sérologie négative.
Le typage par les deux méthodes donne les résultats suivants : dix infections à B. burgdorferi ss, six à B. afzelii, deux à B. garinii et cinq non typables par une méthode ou l'autre. En plus trois résultats sont différents : une différence majeure avec une PCR B. afzelii et une sérologie B. burgdorferi ss. La PCR dans les deux autres cas démontrait la présence mixte de B. afzelii et B. burgdorferi ss, alors que la sérologie était nettement positive pour B. burgdorferi ss.
Il faut rappeler que le liquide articulaire peut servir à rechercher aussi bien les anticorps anti-Borrelia par une sérologie classique que l'ADN de Borrelia par PCR. La quantité d'anticorps dans le liquide articulaire est habituellement comparable à celle trouvée dans le sérum. La situation est tout autre dans le cas du liquide céphalorachidien où l'on peut calculer un index de synthèse intrathécale, parce que la barrière hémato-encéphalique est habituellement imperméable aux anticorps.
L'approche diagnostique d'une arthrite de Lyme se fera dans un premier temps par une sérologie sanguine. Si un liquide articulaire est prélevé pour investigations, la sérologie peut être pratiquée sur ce liquide. Le liquide articulaire prélevé pour une PCR Borrelia devrait être envoyé dans les meilleurs délais au laboratoire. Il faut savoir que l'ADN de Borrelia n'est plus détectable au-delà de sept jours après le prélèvement. Toute étape de congélation-décongélation ou prolongement du délai entre le prélèvement et la préparation du matériel pour la PCR va diminuer la sensibilité de cet examen. Il est probable que la sensibilité de cette PCR peut également être accrue avec une biopsie de synovie. B. burgdorferi sensu lato a tendance à s'attacher aux cellules des mammifères.15 B. burgdorferi ss est fréquemment associée à l'arthrite de Lyme et il est probable que cette borrélie trouve des sites d'attachement spécifique aux structures du cartilage.