Prise de Mossoul : le témoignage du dernier prêtre de la ville

ARTICLE | 10/06/2014 | Par Jean-Claude Bésida
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Exode Mossoul

C’est un exode terrible : des familles, des malades, quittent la ville à pied ou en voiture. C’est comme la fuite d’Egypte.

©E. Yorulmaz - AFP

Le 10 juin au matin, la nouvelle est tombée : Mossoul, la deuxième ville d’Irak, est tombée sous les assauts des combattants de l’État Islamique d’Irak et du Levant (EIIL). Des djihadistes endurcis qui se battent également en Syrie et ont vaincu, au terme d’une bataille de quatre jours, l’armée irakienne. Âgé de 75 ans, le père Pius Affas est le dernier prêtre de Mossoul, chargé de l’église syriaque Mar Thomas. Il est désormais sur la route de l’exode. Voici son témoignage.

Qui a attaqué Mossoul ?

C’est l’organisation de l’État Islamique d’Irak et du Levant (EIIL). Ce sont des terroristes. Depuis jeudi, nous entendons des tirs et des bombardements incessants. On nous disait que l’armée se battrait. Mais nous avons vu que l’armée irakienne a cédé très vite devant la force des terroristes. Personne ne leur résiste. Même le gouverneur de Mossoul s’est enfui.

Que s’est-il passé ce week-end ?

Nous avons tenu jusqu’à lundi. Mais quand nous avons appris qu’ils arrivaient dans la ville, nous avons décidé de partir avant qu’ils n’arrivent dans notre quartier, comme une grande quantité de gens. Une multitude de gens, principalement des musulmans, car les chrétiens ont presque tous fuis ces dernières années. C’est un exode terrible : des familles, des malades, quittent la ville à pied ou en voiture. C’est comme la fuite d’Égypte. Ils cherchent à aller dans des lieux plus sûrs.

Nous avons d’abord quitté la vieille ville dimanche soir en pensant que la rive gauche du Tigre serait plus sûre. Mais à minuit, nous avons appris que la préfecture était prise et que les terroristes allaient arriver. Alors, avec quelques habitants du quartier, nous avons décidé de quitter Mossoul pour aller vers les villages chrétiens.

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C’est un exode terrible : des familles, des malades, quittent la ville à pied ou en voiture.

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Où êtes-vous en ce moment ?

Je suis dans un village avant Qaraqosh. J’espère y arriver, mais nous n’y sommes pas encore. Ce n’est qu’à trente kilomètres mais je n’ai pas pu le rejoindre car il y a des milliers de voitures qui encombrent les routes : les gens sont coincés. Il nous a fallu cinq heures pour faire vingt kilomètres. C’est un exode tragique. Les gens qui fuient Mossoul sont accueillis dans les églises, dans les écoles et dans les familles des villages. Il y a un très bel effort de solidarité.

Que laissez-vous derrière vous ?

Je suis toujours resté à Mossoul, même après avoir été kidnappé puis relâché, en 2007. Je suis le curé de la paroisse Mar Thomas des Syriens catholiques, qui héberge un centre biblique très important de Mossoul. Aujourd’hui c’est mon anniversaire de  quarante-deux ans de sacerdoce. Et derrière moi, j’ai laissé une église qui a cinq cent cinquante ans d’histoire, et un patrimoine chrétien très important. Je ne sais pas si je reverrai ces témoignages du patrimoine chrétien d’Irak. Ca me fend le cœur. Toutes les églises de Mossoul sont désormais laissées à leur sort, même si on espère pouvoir revenir. C’est un tel trésor : songez que Mossoul a été un des premiers centres de la chrétienté, avec des églises qui remontent au septième siècle.

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Je suis toujours resté à Mossoul, même après avoir été kidnappé puis relâché, en 2007.

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Pensez-vous pouvoir revenir ?

Nous vivons dans l’espérance, mais maintenant, je doute que nous retournions jamais. Ça ne sera pas très facile. A chaque attaque, le nombre de chrétiens diminue. Ces dernières années, nous étions à peine dix-mille, toutes confessions confondues.

À quoi ressemblait la messe de la Pentecôte à Mossoul, dimanche ?

J’ai sonné la cloche comme d’habitude. Quelques chrétiens du quartier sont venus. Le matin nous étions douze personnes pour la messe solennelle.  Et six à la messe de l’après-midi parce que la moitié de la communauté avait trop peur et s’était enfuie. Je voulais être le dernier à rester, jusqu’à la dernière limite. J’ai demandé aux gens de prier l’Esprit Saint, qu’il donne la grâce et la sagesse à tous, à l’État comme aux terroristes, qu’ils se comportent comme des hommes, soucieux du bien commun. Mais en quittant la ville, je ne pouvais que répéter la prière d’abandon de Charles de Foucauld : Seigneur je m’abandonne à toi. Il n’y a rien d’autre dans mon cœur. Prier et demander que cesse cette tragédie.

Jean-Claude Bésida

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