Politique : le pactole de Sarkozy
L’ex-Président a gagné quelque 2 millions d’euros en devenant conférencier après sa défaite en 2012. C’est l’une des révélations d’un livre écrit par deux journalistes du Parisien, dont nous publions des extraits.
Sandrine Briclot et Gaëtane Morin | 6 nov. 2014, 14h35 | MAJ : 15h02Mon activité Vos amis peuvent maintenant voir cette activité
Supprimer X« Entrez, faites comme chez vous. » Nicolas Sarkozy reçoit, au 77 rue de Miromesnil, dans ses bureaux parisiens, payés par la République. Faisant fi, en petit comité, de la cure de silence médiatique qu’il s’est imposée au lendemain de son échec à la présidentielle de 2012, il se confie longuement et à plusieurs reprises à nos confrères du service politique du Parisien-Aujourd’hui en France, Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel. Devant eux, il commente le feuilleton du quinquennat, de l’affaire Gayet à la rupture de François Hollande avec Valérie Trierweiler. Il distribue des claques aux ténors de l’UMP, qu’il surnomme ironiquement « les talents ». Il fulmine contre les juges qui enquêtent sur les affaires Bettencourt, Tapie, Kadhafi ou sur ses comptes de campagne de 2012. « On veut m’abattre », affirme-t-il. Dans le livre Ça reste entre nous, hein ?, paru mercredi chez Flammarion, les auteurs révèlent un Sarkozy « brut de décoffrage », attiré par « la fortune et l’aisance de ses amis grands patrons ». Nous publions des extraits du chapitre consacré aux conférences de luxe de l’ancien Président, chaque intervention lui rapportant entre 100 000 et 150 000 euros.
Le trac du débutant
Dans l’avion qui l’emmène à New York en ce début d’octobre 2012, Nicolas Sarkozy est un tantinet nerveux. Costume-cravate et barbe de trois jours, l’ancien chef de l’Etat potasse soigneusement le texte de sa première conférence rémunérée pour la plus grande banque d’investissement brésilienne, BTG Pactual, la « Goldman Sachs des tropiques », comme la surnomme le Financial Times. Son président, André Esteves, treizième fortune du Brésil, a voulu choyer ses actionnaires et ses clients en leur offrant un séminaire avec quelques jolies surprises au menu. C’est donc au dix-huitième étage du Waldorf Astoria, palace de Manhattan situé à deux pas du Rockefeller Center, là où il séjournait quand il participait aux sommets de l’ONU, que « Sarkozy l’Américain » démarre sa nouvelle carrière de conférencier de luxe, devant quelque quatre cents curieux. Au dernier moment, le voilà même rattrapé par un fond de trac ! « Je n’ai pas travaillé depuis cinq mois. Je n’ai jamais eu de vacances aussi longues de ma vie, et le pire, c’est que je suis très heureux de cette situation. Je faisais des discours tous les jours. Aujourd’hui, c’est mon premier discours depuis l’élection présidentielle », entame-t-il dans une langue de Shakespeare hésitante, avant de repasser au français.
Présenté comme « un leader visionnaire »
Mais ce que Sarkozy apprécie aussi, c’est… de gagner enfin de l’argent. Beaucoup d’argent. Il ne s’en cache guère : l’ex-Président a toujours admiré, envié la fortune et l’aisance de ses amis grands patrons. Les Bouygues, Pinault, Dassault et autres Lagardère. Avec un petit faible pour ceux qui sont partis de rien. Il a toujours été fasciné par Bill Clinton ou Tony Blair, qui, après avoir quitté le pouvoir, ont encaissé des dizaines de milliers de dollars par conférence. Lors d’un dîner à l’été 2012, il a livré cet aveu révélateur à l’un des convives : « Tu comprends, je ne veux pas que ma femme me voie comme un chômeur. » Après avoir dû faire tellement attention à son train de vie, après avoir été tellement scruté, critiqué, raillé pour son côté « bling-bling », il veut maintenant que son épouse et sa fille vivent bien, qu’elles ne se privent de rien. « Quelque temps avant de quitter l’Elysée, il s’était renseigné sur le cachet des conférences internationales, se rappelle l’un de ses proches. Il en avait parlé à Tony Blair, qui gagne parfois 200 000 à 300 000 euros par réunion. Il a vite fait le calcul, même s’il savait qu’il serait rémunéré à un tarif moindre. »
Très vite, sur les conseils de l’ancien Premier ministre britannique, Sarkozy intègre en exclusivité un prestigieux cabinet de conférenciers de luxe : le Washington Speakers Bureau. La Rolls des agences. Il côtoie dans le catalogue, outre Tony Blair lui-même, les Américains George W. Bush, Madeleine Albright et Condoleeza Rice, l’Anglais John Major ou l’Espagnol José Maria Aznar. Sur sa notice biographique rédigée à l’attention des clients potentiels, on peut lire qu’il est « un leader visionnaire ayant consacré sa vie à l’intérêt public », qu’il a joué un rôle déterminant dans la sortie de la crise financière en Europe et dans le conflit entre la Russie et la Géorgie à l’été 2008, notamment. « Pragmatique et ferme », conclut le texte, dithyrambique.
Une « chance », un « privilège »
Les demandes croulent rapidement sur son bureau, rue de Miromesnil. C’est sa collaboratrice Consuelo Remmert, la demi-sœur de Carla, qui gère son agenda et lui propose des dates. La jeune femme, qui parle couramment plusieurs langues, avait effectué un passage concluant à la cellule diplomatique de l’Elysée. Elle a vécu de longues années aux Etats-Unis. Et fait l’interface avec le Washington Speakers Bureau. L’agence assure la logistique, vérifie la fiabilité et le sérieux des compagnies. Tout se négocie. « Le voyage en première classe, les chambres d’hôtel pour les accompagnateurs et l’officier de sécurité, le transport en voiture, ainsi que les divers frais, détaille un spécialiste de ce type d’activité. Ça chiffre très rapidement. Cela dit, le retour sur investissement est garanti. Les clients des grandes entreprises adorent écouter des anciens présidents parler, même s’ils n’apprennent pas grand-chose sur le plan technique. Ils peuvent bavarder un peu avec eux en marge de la rencontre. Il y a un côté prestigieux. » Sarkozy en tire une grande fierté. Pour lui, mais aussi, dit-il, pour la France. Jamais aucun de ses prédécesseurs n’avait connu un tel « privilège », remarque-t-il. « J’ai la chance d’être invité, jamais je n’aurais pensé une chose comme ça, que je serais invité comme ça. Je pense que ce n’est jamais arrivé à un président français*. »
*Rencontre avec les auteurs, 6 janvier 2014.
« Comme une vache espagnole »
A force de prestations, Nicolas Sarkozy a parfaitement rodé son discours sur la crise, qu’il sert à ses différents auditoires en l’adaptant au gré des demandes. Fort de son expérience passée, il disserte avec aisance sur la nécessité d’un puissant leadership mondial, excelle au jeu des questions-réponses avec la salle. Parfois, c’est un journaliste qui l’interroge sur les grands enjeux du moment ; parfois, c’est un cadre de l’entreprise invitante. Bref, il maîtrise l’exercice.
Mais l’ancien Président a un problème : il parle mal l’anglais. Sa connaissance de la langue reste trop imparfaite pour dominer la scène mondiale des conférenciers. Il a toujours ce satané accent frenchy qui lui a valu tant de moqueries de la presse du temps où il était à l’Elysée. « Quand je suis allé le voir la première fois après son départ de l’Elysée, je lui ai dit : “Il faut que vous vous mettiez à l’anglais.” A ma grande surprise, il ne l’a pas mal pris* », raconte avec le sourire son ex-sherpa, Jean-David Levitte. L’ancien conseiller diplomatique de l’Elysée, surnommé « Diplomator », lui a aussi fait miroiter qu’il pourrait devenir un acteur majeur dans la résolution des conflits internationaux. A la condition expresse de combler au plus vite ses lacunes. « Un jour, Ban Ki-moon (le secrétaire général de l’ONU, NDLR) aura peut-être besoin de vous. Et vous n’aurez plus d’interprète à vos côtés. Donc, vous devrez parler anglais », lui souffle encore Levitte. Message reçu.
A compter de l’été 2012, l’ancien chef de l’Etat se met alors à bachoter, casque sur les oreilles. Il continue encore de temps à autre à prendre des cours audio. « Il a fait des progrès, raconte un banquier londonien qui l’a rencontré à plusieurs reprises. Il comprend ce qu’on lui dit, peut suivre une conversation. Mais quand c’est à lui de prendre la parole, il multiplie les faux amis et les contresens. Il parle un peu comme une vache espagnole. Il préfère faire appel à un traducteur. »
Résultat, sa cote s’est certes améliorée sur le marché des « speakers » au fil des mois. Mais elle est encore loin de celle de Bill Clinton, qui a empoché 75 millions de dollars en dix ans. « L’anglais est la référence absolue dans ce petit monde, explique encore un spécialiste. Les tarifs sont moindres si on s’exprime dans une autre langue. »
*Rencontre avec l’un des auteurs, 15 juin 2013.
Le projet avorté du Qatar
Combien Nicolas Sarkozy a-t-il gagné depuis l’automne 2012 ? Ses amis se sont amusés à faire le calcul. Son tarif est estimé entre 100 000 et 150 000 euros par conférence, selon un familier du Washington Speakers Bureau. Parfois plus, rarement moins. Un chiffre corroboré par un ancien conseiller de l’Elysée, qui en rigole : « Il fait du pognon, il aime ça, ça l’amuse ! » De Las Vegas à Doha en passant par São Paulo, Chicago, Montréal, Londres, Singapour ou Brazzaville, le « speaker » Sarkozy a effectué une vingtaine de prestations rémunérées en deux ans et demi. Soit un gain d’environ 2 millions d’euros. C’est en tout cas le chiffre qui circule dans la Sarkozie.
Mais l’ancien Président aurait pu arrondir encore bien davantage son compte en banque. Début 2013, plusieurs médias révèlent que le Qatar est prêt à investir 250 millions d’euros dans un fonds de private equity (investissement dans des sociétés non cotées) que piloterait l’ex-chef de l’Etat. Lequel profiterait de ses voyages et conférences pour solliciter des partenaires et fonds souverains. L’information est mollement démentie par son entourage à Paris. Elle est pourtant… rigoureusement exacte. Les discussions sont tellement avancées que Nicolas Sarkozy a même reçu une lettre d’intention tout ce qu’il y a d’officiel de la part des autorités qatariennes. Mis dans la confidence à l’époque, un de ses proches détaille le plan : « Il aurait eu toute latitude pour former son équipe. Son bureau aurait été situé à Londres, près de la City, sans obligation d’y être en permanence, juste une ou deux fois par semaine. Et son intéressement s’annonçait colossal, en fonction bien sûr du chiffre d’affaires. Il pouvait compter sur une rémunération comprise entre 2 et 3 millions d’euros par an. » Mais, au moment d’apposer sa signature sur le contrat, la main de Sarkozy tremble. Il sait qu’il s’agit sans doute d’un aller sans retour, que cela fermerait tout avenir dans la politique. Déjà qu’il traîne comme un boulet l’étiquette « ami des riches »…
La fortune ou la passion ? Cruel dilemme. Quelques mois plus tard, il s’en explique : « Ce projet à Londres, je ne l’ai pas fait. Je n’allais pas diriger le fonds souverain d’un pays étranger, ni m’installer ailleurs. C’est l’idée que je me fais de la responsabilité qui est la mienne. Sinon, j’aurais accepté bien des propositions, comme diriger des entreprises, en créer une. Je ne l’ai pas fait et cela a été un sacrifice. C’est une façon de répondre à la question (de son retour, NDLR). C’est une façon de rester libre, donc disponible*. » Avec toutefois des finances personnelles décuplées par trente mois de voyages aux quatre coins du globe !
*Rencontre avec les auteurs, 6 janvier 2014.
« T’as pris combien ? »
Le compte en banque rondelet de l’ancien Président sera-t-il un handicap à son retour ? Les sarkozystes s’en inquiètent. « C’est une connerie, un problème vis-à-vis des Français. Il ne s’en rend pas compte », regrette l’un d’eux. « Une fois qu’on touche à l’argent, on ne peut plus revenir en politique », assène l’ancien ministre et germaniste Bruno
Le Maire, qui cite l’exemple de Peer Steinbrück. Conférencier grassement rémunéré, le candidat malheureux du SPD face à Angela Merkel aux législatives de l’automne 2013 a vite été éliminé de la course. Un influent député UMP confirme : « Les Français aiment le général de Gaulle qui éteint la lumière, qui est poli, qui dit bonjour aux gens. Sarko, ils aiment son énergie, mais pas son côté nouveau riche. » Jean-David Levitte, encore lui, lui a d’ailleurs vivement conseillé de panacher les conférences rémunérées et non rémunérées. Sarkozy ne l’a écouté que d’une oreille.
Alain Juppé raconte volontiers une anecdote. Dans le vol qui les ramène, lui et Sarkozy, de leur escapade en Libye en mars 2013, le maire de Bordeaux lui explique qu’il vient de donner une conférence sur l’Europe à la London School of Economics. La question de Sarkozy fuse : « T’as pris combien ? » Réponse de Juppé : « Rien. » En face de lui, Sarkozy a écarquillé les yeux d’incompréhension…
Les intertitres ont été ajoutés par la rédaction.
Pendant la campagne de 2012 , Nicolas Sarkozy avait affirmé à quelques journalistes qu’il « couperait » avec la politique en cas de défaite… Mais les confidences faites à nos confrères du Parisien, au cours des deux ans qui ont suivi, prouvent que l’ancien Président a toujours été aimanté par la volonté de regagner l’Elysée en 2017.
> Ça reste entre nous, hein ?, de Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel, Flammarion, 270 p., 19 €.
Le Parisien Magazine