Monseigneur Nicolas Brouwet est évêque de Tarbes et Lourdes depuis février 2012.
L'Eglise s'apprête à fêter Pâques. Pourquoi cette fête est importante pour les catholiques?
La fête de Pâques est, avec Noël, la plus grande fête de l'année. Nous célébrons la Résurrection du Christ. Toute la foi chrétienne tourne autour de ces deux évènements: Dieu qui se fait homme dans le mystère de Noël ; le Christ ressuscité des morts dans le mystère de Pâques. Si Dieu s'est fait l'un de nous, c'est pour ouvrir, dans la tragédie de la mort, un chemin de résurrection pour tous les hommes. Voilà le cœur de la foi chrétienne. «Si le Christ n'est pas ressuscité, écrit Saint Paul, vide alors est notre message, vide aussi notre foi».
Cette fête a-t-elle encore un sens dans une société déchristianisée?
En annonçant la Résurrection de Jésus aux philosophes d'Athènes, ville païenne, ouverte à tous les courants de pensée et à toutes les divinités, l'apôtre Paul se heurte à l'ironie et au scepticisme de ses auditeurs. Sa prédication est un échec presque total. Quelques-uns, pourtant, deviennent chrétiens: si Le Christ est ressuscité, c'est que le mort n'est pas la fin de tout ; s'il nous entraîne dans sa Résurrection, c'est qu'une espérance est toujours possible même au moment des épreuves les plus insurmontables. Dans ce monde déchristianisé, les chrétiens cherchent à témoigner que ni la mort ni la nuit n'ont le dernier mot ; ils confessent que nous sommes appelés à vivre, et à vivre debout, dans l'attitude du Ressuscité.
Est-ce que l'idée d'une résurrection et d'un au-delà n'a pas disparu avec les plaisirs et les possibilités infinies que peuvent donner la consommation dans les sociétés prospères?
Il est vrai que l'accélération des découvertes et des applications de la technologie est fascinante. Ce sont, mois après mois, des perspectives nouvelles qui s'ouvrent, entraînant l'amélioration du bien-être personnel, de l'efficacité dans le travail, de la communication, de la santé. On en est fasciné - moi le premier, je le reconnais - mais la question est de savoir si nous laissons cette fascination occuper tout l'horizon et, du coup, réduire la perspective.
Les possibilités de la technique peuvent entretenir l'homme dans l'illusion de sa toute-puissance. L'accroissement du confort peut l'amener à penser qu'il se suffit à lui-même. Mais lorsqu'il fait l'expérience de l'épreuve et de l'échec - et en particulier de l'échec absolu qu'est la mort - il est totalement démuni et ne sait plus faire face. Il faut qu'il apprenne alors à affronter la réalité de sa finitude, de sa fragilité et de sa dépendance. La fête de Pâques arrive précisément là: les dernières heures de la vie du Christ se déroulent comme une véritable défaite qui le conduit jusqu'à la mort. Mais ressuscité, il sort du tombeau et entraîne l'humanité à sa suite. En proclamant la Résurrection, nous annonçons que dans les impasses, les déconvenues, les angoisses de l'existence, le Christ nous appelle à la vie ; qu'au moment où tout semble s'effondrer, nous avons encore un avenir. Et que cet avenir dépasse infiniment la mesure et les limites de la vie terrestre: notre avenir est en Dieu.
Est-ce normal selon vous que l'on continue dans un pays laïc à donner tant d'importance aux fêtes chrétiennes?
Elles rythment notre vie. Et si elles ne sont pas toujours comprises dans toute leur profondeur, elles sont une formidable leçon d'espérance y compris pour ceux qui ne partagent pas la foi chrétienne. Elles parlent toutes, chacune à sa manière, de la grandeur de la vocation humaine, de la dignité infinie de chaque homme - y compris du plus pauvre-, d'un appel à la vie plus fort que la mort. Par ailleurs les fêtes religieuses nous prémunissent contre la tentation de tout réduire à des perspectives terrestres et de tout espérer de l'organisation politique. La liberté religieuse est le garant ultime des libertés individuelles: l'Etat ne pourra jamais contrôler la relation personnelle qu'un croyant entretient avec Dieu. Les fêtes religieuses doivent être maintenues pour cette raison: parce qu'en les conservant, le pouvoir politique reconnaît que ce qui touche à la foi dépasse sa compétence et que la liberté doit être laissée aux croyants de célébrer ensemble - et selon les modalités qu'ils choisissent- la foi qui les anime.
Les Evêques ont eu à Lourdes des échanges vifs sur les rapports entre l'Eglise et le monde contemporain. Comment l'Eglise doit-elle parler au monde?
Je crois que les media ont exagéré la vivacité des débats. Les évêques sont tous d'accord sur la nécessité de susciter des échanges, des dialogues, des réflexions de fond, en particulier sur les sujets de société avec tous ceux qui ont des convictions, y compris quand elles ne sont pas les nôtres. C'est indispensable pour bien comprendre les enjeux d'un débat ; nous ne pouvons pas réfléchir seuls. Le problème est de savoir si nous avons encore la culture de cette recherche longue, patiente exigeante du bien, du vrai, du juste. Un lent travail de la raison est nécessaire, là où on préfère, par économie intellectuelle, l'émotion et les slogans.
Les chrétiens sont parfois moqués comme anachroniques, ils provoquent souvent l'indifférence. Sont-ils condamnés à vivre à contre- courant et à perdre les combats temporels?
Les chrétiens n'ont pas la mission de gagner des combats. Ils veulent seulement témoigner de l'amour de Dieu pour tout homme, un amour sans condition qui les appelle à la vie. C'est cet amour, et lui seul, qui sauve le monde. Il ne s'impose pas par la force du droit ou par des jeux politiques. Il est accueilli dans le cœur des croyants comme un feu qui embrase tout leur être et qui illumine leur conscience, leurs décisions, leurs projets. L'Evangile se répand de cette manière ; sans bruit, sans violence, sans stratégie. C'est, comme vous le dites, un peu à contre-courant…
A Lourdes vous côtoyez sans cesse des malades, des handicapés. Considérez-vous que la société les aide et les protège suffisamment?
La force incroyable de l'Evangile est de nous aider à penser l'homme non seulement dans son génie et sa grandeur mais également dans sa faiblesse et sa précarité. Ce qui m'a toujours frappé, à Lourdes, c'est que les personnes malades ou handicapées ont toujours la première place. Nous vivons avec elle, nous prions avec elles et nous recevons beaucoup d'elles en vivant à leurs côtés. A vrai dire, elles nous évangélisent par leur paix, par leur joie, par leur profondeur, par leur simplicité. La dépendance et la fragilité ne sont pas des défaites pour la personne humaine. Parce que sa dignité ne lui est pas donnée par son autosuffisance, par son pouvoir ou par sa bonne santé. Elle vient de plus haut ; elle vient de Dieu. Elle vient de ce qu'elle est aimée inconditionnellement. Et de ce qu'elle est capable d'aimer inconditionnellement. Notre société fait beaucoup pour les personnes fragiles. Mais elle gagnerait à cultiver ce regard d'absolue bienveillance. Pour ne pas être tentée d'écarter les plus faibles en succombant à une logique de coût, de rentabilité et de confort. Toute personne mérite de vivre. C'est notre appel, notre vocation. Nous sommes faits pour la vie!