Écoutes de Sarkozy : étaient-elles nécessaires et proportionnées ?
Le Point.fr - Publié le - Modifié le
Des faits de "corruption" au trafic d'influence, comment l'affaire des écoutes a-t-elle rebondi ? Le secret professionnel existe-t-il encore ? Éclairage.
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Placer un ancien président sur écoute ? Rien d'anormal. Depuis que Nicolas Sarkozy a quitté l'Élysée, il est redevenu un justiciable comme les autres et n'est plus protégé par son immunité présidentielle. Mais il l'est, en revanche, par le secret professionnel... Car l'ancien avocat a renfilé la robe noire. Son bâtonnier a donc dû en être informé par le juge d'instruction, comme l'exige l'article 100-7 du Code de procédure pénale (CPP).
Écoutes non limitées dans la durée
L'affaire a commencé en avril 2013. Une information judiciaire est ouverte pour des faits de "corruption" datant de 2007. Les juges d'instruction soupçonnent un soutien financier de la Libye à la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Ils le placent sur écoute ainsi que deux de ses anciens ministres, Claude Guéant et Brice Hortefeux.
Selon les articles 81 et 100 du CPP, des écoutes peuvent être ordonnées "si la nécessité de l'information l'exige". Et elles doivent l'être sur la base d'éléments précis. "Il faut que les personnes mises en cause soient susceptibles d'avoir commis une infraction punie d'au moins deux ans soit comme auteurs soit comme complices, étant précisé que ces écoutes peuvent être mises en place soit pour vérifier la réalité de l'infraction visée soit pour l'écarter", rappelle l'ancien magistrat Jean-Claude Kross.
Cette mesure, qui prend dans le cadre de l'instruction la forme d'une commission rogatoire aux services enquêteurs, n'est pas susceptible de recours. Reste que, après sa mise en place, "le juge d'instruction a carte blanche pour écouter qui il veut, quand il veut et le temps qu'il veut. En effet, la loi française ne limite pas leur durée qui est de quatre mois renouvelable sans limites", précise l'avocat Christophe Ayela.
Nouveaux faits non couverts par la mesure
En l'occurrence, la surveillance aurait duré près d'un an, révèle le site du Monde... À cette occasion, les juges d'instruction découvrent que Nicolas Sarkozy utilise un autre portable dont l'abonnement aurait été souscrit sous un nom d'emprunt. Ils placent alors ce deuxième appareil sur écoute.
Ce qu'ils en récoltent ? Des conversations entre l'ancien président et son conseil, Thierry Herzog, qui aurait utilisé, lui aussi, un portable acquis sous un nom d'emprunt. La confidentialité des conversations entre l'avocat et son client, par nature à l'abri de toute oreille indiscrète, avait-elle des raisons de se surprotéger ? Selon nos confrères du Monde.fr, les deux hommes évoquaient la procédure en cours dans l'affaire Bettencourt et, plus particulièrement, la question cruciale de la saisie des agendas de Nicolas Sarkozy qui contiendraient des éléments décisifs sur... l'affaire Tapie.
Mais ce n'est pas tout. En tirant les fils, c'est un autre personnage qui sort du chapeau : le premier avocat général à la Cour de cassation Gilbert Azibert, soupçonné d'avoir renseigné l'ancien président sur l'évolution de la procédure de saisie de ses agendas, et ce, en échange d'une gratification professionnelle : Azibert aurait souhaité devenir conseiller d'État à Monaco.
En levant le voile sur ces faits nouveaux à propos desquels les premiers juges d'instruction n'étaient pas habilités à enquêter, les écoutes sont-elles encore légales ? "L'article 100 du CPP précise que l'écoute doit être motivée par la nécessité de l'instruction. Aller au-delà des raisons ayant justifié l'ouverture de l'information judiciaire, c'est agir hors la loi. Il faudra donc s'assurer que les juges ont stoppé toute écoute portant sur ces faits nouveaux, au risque de voir la procédure annulée", fait observer Me Ayela. Une faille procédurale n'est donc pas exclue entre le moment où les premiers juges ont eu connaissance de ces conversations et le moment où ils ont transmis le dossier au tout nouveau Parquet national financier (PNF).
Participation à une infraction
Le 26 février, une nouvelle information judiciaire confiée à deux juges financiers est ouverte, visant des faits constitutifs de deux infractions : la violation du secret de l'instruction et le trafic d'influence, qui consiste à demander à un fonctionnaire un avantage lié à sa fonction en contrepartie d'une rémunération ou d'un avantage particulier.
Depuis, les choses s'emballent. Le 4 mars, les policiers de l'Office central de la lutte contre la délinquance financière déboulent dans le bureau de Gilbert Azibert. Son domicile bordelais est aussi perquisitionné. Les deux résidences de Thierry Herzog sont visitées et ses deux téléphones portables saisis. "On ne peut saisir chez un avocat de pièces couvertes par le secret qu'à la condition qu'elles révèlent intrinsèquement que l'avocat aurait pu participer à une infraction. Le représentant du bâtonnier présent lors de la mesure peut s'opposer à la saisie d'une pièce et demander qu'elle soit mise sous scellés pour être transmise sans délai au juge des libertés et de la détention (JLD), lequel doit statuer dans les cinq jours de cette transmission." Par ailleurs, pour être exploités, "les disques durs et d'une manière générale tout objet matériel qui stocke des informations multiples doivent être transmis à des experts sous le contrôle du JLD, et ce, pour éviter une ingérence dans les données extérieures à l'affaire sur laquelle enquête le juge d'instruction", explique l'ancien bâtonnier de Paris Christian Charrière-Bournazel. Le bâtonnier de Paris Pierre-Olivier Sur a plaidé jeudi devant le JLD la restitution de ces deux téléphones portables. La décision du juge est attendue lundi.
Motifs "nécessaires et proportionnés"
Reste qu'avec de telles mesures le secret professionnel s'en trouve cruellement menacé. C'est ce que dénoncent les avocats, dont certains ont interpellé les pouvoirs publics "sur les atteintes graves et répétées" portées à ce "pilier des droits de la défense". Ainsi, souligne Me Charrière-Bournazel, "le secret professionnel est un devoir fondamental pour l'avocat, car il est le corollaire du droit de tout citoyen en démocratie de pouvoir se confier à un confident nécessaire qui ne le trahira pas. Il ne peut subir d'ingérence que pour des motifs nécessaires et proportionnés, exige la CEDH. Ici, ce qui est hors norme au sens littéral de cette expression, c'est le fait d'avoir écouté un avocat pendant un an sur des faits aussi anciens. La durée de cette mesure ne serait sans doute pas jugée par la cour de Strasbourg comme "nécessaire et proportionnée" si elle venait à être saisie", doute l'ancien bâtonnier.
De Snowden à Sarkozy, en passant par Bettencourt, les écoutes ont le vent en poupe, transparence de la vie politique oblige. "Cette banalisation des écoutes est très inquiétante. La transparence est devenue la vertu, et le secret le péché. Cela bouleverse tout !" s'emporte l'avocat Daniel Soulez-Larivière, membre du Club des juristes. "En outre, fait-il observer, l'hypocrisie qui consiste à dire j'écoute le client et pas son avocat est inadmissible ! Même si l'on ne retranscrit que les propos qui laissent soupçonner qu'il pourrait se rendre coupable d'une infraction, c'est comme si l'on collait un micro dans son cabinet et qu'on écoutait tous les conseils qu'il donne à son client. Bref, on renoue avec l'intégrisme judiciaire des années 90, ce qui me semble particulièrement dangereux."
S'il apparaît a posteriori qu'il n'existait aucun indice préalable d'infraction, la nullité de ces actes d'écoutes pourra être sollicitée. Mais le mal aura été fait, au détriment du secret professionnel.
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