Si les catholiques restent en moyenne plus mobilisés que le reste des Français sur les enjeux européens, l’Église doit faire face à certaines réticences.
« Un très grand flou. » Lorsque, à dix jours des élections européennes, l’on interroge Mgr Jean-Pierre Grallet sur la manière dont il perçoit le rapport entre les catholiques et l’Europe, l’archevêque de Strasbourg ne cache pas une forme d’inquiétude. « Les gens ne comprennent pas, les structures semblent trop lointaines, la crise est très présente dans les esprits », constate-t-il. Représentant français à la Comece, qui réunit les épiscopats européens à Bruxelles, il a lancé la semaine dernière une invitation à prendre part au scrutin, dans un document intitulé « pour la construction européenne, 10 points d’attention ». Parmi eux, le bien commun, la solidarité et le respect de l’environnement figurent en bonne place.
euroscepticisme ?
En réalité, l’appel de l’archevêque alsacien est l’une des très nombreuses contributions publiées par l’Église catholique à l’approche des élections. Qu’ils proviennent de l’épiscopat ou de mouvements, les textes et initiatives se multiplient, tentant de réfuter les prévisions d’abstention record, émises à l’unanimité par les instituts de sondage. Parmi eux figurent notamment le Conseil famille et société de l’épiscopat français, le Secours catholique et la Cimade, le programme strasbourgeois « Decere » (1) ou encore le Mouvement chrétien des retraités (lire ci-contre). Les responsables chrétiens relèvent tous un risque de « repli sur soi » accentué par les effets de la crise économique. La multiplication des appels suggérerait-elle que les catholiques, longtemps considérés comme plus europhiles que la moyenne nationale, se laisseraient gagner par l’euroscepticisme ?
Le désenchantement n’est pas totalement illégitime
« Plus qu’en 2009, il y a clairement un risque d’oubli du projet européen », estime la déléguée générale des Scouts et guides de France, Catherine Larrieu. Pour la première fois, la direction du mouvement a adressé début mai à ses 20 000 compagnons (17-20 ans) et jeunes chefs un appel à considérer l’Europe comme « un projet de paix et de fraternité » et à se rendre aux urnes. « Beaucoup de nos chefs votent pour la première fois. Et devant le risque élevé d’abstention, il nous semblait nécessaire de rappeler que l’Europe incarne un projet portant le respect des autres, de vivre ensemble, de fraternité et de paix. »
« Depuis le départ, les fondateurs ont insisté sur la personne humaine, la justice, la solidarité, et le partage », a rappelé, mardi, le P. François Euvé, directeur de la revue « Études », au cours d’une conférence de presse – démarche inhabituelle – avec quatre autres responsables jésuites. Il reconnaît pourtant que le désenchantement n’est pas totalement illégitime. « Après la dérive libérale des années 1980 et 1990, je peux comprendre les difficultés de certains chrétiens à adhérer au projet européen, mais le repli sur les nations ne résoudra rien. »
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l’électorat catholique est plus proeuropéen
Longtemps, les catholiques français ont été plus europhiles que la moyenne nationale. En 2005, les pratiquants furent 67 % à se prononcer en faveur du Traité constitutionnel européen, contre 45 % pour l’ensemble des Français. Cette tendance est-elle toujours valable aujourd’hui ? Oui, semblent répondre les projections de l’Ifop. Lundi, l’institut de sondage prévoyait une participation au scrutin s’établissant à 39 % pour la totalité du corps électoral, contre… 52 % chez les catholiques pratiquants. « Aujourd’hui encore, l’électorat catholique est plus proeuropéen que la moyenne, mais cette spécificité à tendance à s’affaiblir : comme tous les Français, ils peuvent être sensibles à des arguments comme l’inflation attribuée à la monnaie unique » analyse le directeur du département opinion publique de l’Ifop, Jérôme Fourquet.
Dès lors, le plaidoyer proeuropéen des responsables catholiques irrite certains fidèles, comme Guillaume de Prémare, consultant en communication et ancien président de la Manif pour tous. « La construction européenne est un projet politique, qui a été préempté par l’Église. Défendre l’Europe au nom des valeurs de l’Évangile relève de l’imposture. » Il regrette notamment que les 39 % de catholiques pratiquants réguliers ayant voté contre l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, en 1992, aient été « relégués au rang d’extrémistes ». Évoquant la récente mobilisation contre la loi Taubira, il estime que « l’Europe a perdu de son aura, l’an dernier, chez un public assez europhile, à cause des questions d’éthique ». Les pétitions qui ont fleuri ces derniers mois sur la Toile pour protester contre des rapports d’eurodéputés sur l’avortement ou le genre semblent en attester.
une longue tradition.
« Certains catholiques se laissent piéger : ils doivent garder à l’esprit que l’Europe n’est pas compétente sur ces questions », décrypte le P. Cédric Burgun, prêtre de l’Emmanuel, pour qui « un chrétien ne peut pas se désintéresser de l’Union européenne ». Rappelons-nous que la foi de Robert Schuman l’a conduit à lancer le projet européen, dans un but précis : la consolidation de la paix. Or, celle-ci est loin d’être acquise, la situation en Ukraine nous le montre. Les chrétiens n’ont pas perçu que l’Europe n’était pas une option, mais une nécessité. »
L’implication de l’Église pour soutenir la construction européenne s’inscrit dans une longue tradition. La visite de Jean-Paul II au Parlement européen, en 1988, en est restée l’un des symboles. « À travers le pape polonais, les catholiques ont toujours fortement encouragé les progrès de l’unification européenne », estime Jérôme Vignon, le président des Semaines sociales de France. Ancien haut fonctionnaire à Bruxelles, il a lancé avec son mouvement, particulièrement à l’occasion du scrutin, un site Internet pour sensibiliser les jeunes générations aux enjeux européens (2). Depuis plusieurs semaines, il sillonne la France pour les expliquer. « Le sort de l’Europe est lié très profondément à l’Église, insiste Jérôme Vignon. En tant que construction politique, elle apporte un message de paix et d’unité, et est le signe d’un accomplissement dans l’histoire. Ne perdons pas cela de vue. »