Monseigneur Nicolas Brouwet est évêque de Tarbes et Lourdes depuis février 2012.
FigaroVox: Que vous inspire le sort des chrétiens de Mossoul?
Nicolas BROUWET: C'est une tragédie. Parce que la population chrétienne est purement et simplement éradiquée. Ce qui est nouveau c'est que, même si les chrétiens étaient traités auparavant comme une minorité - avec le sentiment de précarité et parfois d'injustice qui accompagne cette situation - c'est la première fois que l'on s'attaque à eux de manière institutionnelle, systématique, organisée. Pour nous ce sont des frères et des sœurs. Nous pensons à eux ; nous prions pour eux. A Lourdes une neuvaine de prière commencera ce soir à leur intention.
Le cardinal Barbarin a évoqué le signe «N» arabe plaqué sur les maisons des chrétiens à Mossoul, comme un signe qui évoquait des heures douloureuses pour notre histoire. La comparaison entre la persécution des Juifs (obligés de porter une étoile jaune) et celle des Chrétiens d'Irak vous parait-elle pertinente?
Elle est pertinente parce que c'est une même logique. A travers les maisons ce sont les personnes qui sont montrées du doigt, condamnées, rejetées comme des citoyens de seconde zone. Or dans les quartiers des villes du Moyen-Orient, on sait qui est chrétien et qui est musulman. Il n'est pas nécessaire de le marquer sur les maisons. Car, le plus souvent, la cohabitation a été paisible. Les chrétiens ont été habitués à vivre avec les musulmans et à vivre avec eux en paix, en contribuant au bien du pays avec leur richesse propre, celle de l'Evangile. Ils ne demandent d'ailleurs pas autre chose, même s'ils sont minoritaires. Et ils se sont généralement sentis respectés par les musulmans là où ils habitent. C'est ce dont ils témoignent au Liban, en Syrie, en Jordanie, dans les territoires palestiniens, en Egypte ou en Irak. La stigmatisation des maisons chrétiennes met à terre cet équilibre et désignent les chrétiens comme ceux qui n'ont plus rien à faire dans les quartiers de ces villes.
Pour parler des civils de Gaza et des chrétiens de Mossoul, certains parlent de «martyrs». Cette qualification vous parait-elle juste? Qu'est-ce qu'un martyr dans la religion chrétienne?
On parle là de martyrs par association d'idées. Pour nous un martyr est un homme ou une femme qui est condamné à mort pour son attachement au Christ. Il verse son sang volontairement en refusant d'abjurer sa foi chrétienne. De là on étend le terme de «martyr» à tous ceux qui sont persécutés parce qu'ils appartiennent à une minorité religieuse, culturelle, ethnique. Il y a certainement des martyrs parmi les chrétiens de Mossoul parce que certains d'entre eux ont choisi de confesser leur foi dans le Christ au péril de leur vie. Mais tous les chrétiens ne sont pas des martyrs.
Cela n'enlève rien au drame qui se joue à Mossoul. Ni à celui, d'un autre ordre, qui se déroule sous nos yeux à Gaza. Rien ne justifie ce déchaînement de violence contre le peuple palestinien.
Qu'attendez-vous de la communauté internationale? Comment les Etats peuvent-ils intervenir pour sauver les chrétiens irakiens sans semer davantage le trouble par une ingérence qui a déjà couté cher au pays en 2003?
L'Occident en général et la France en particulier auraient à se poser la question de savoir si leur rôle est d'imposer aux pays du Moyen-Orient leur modèle démocratique et culturel. En prenant part à la déstabilisation politique de ces pays, on a fait le lit des partisans du jihad. Ce n'est pas la démocratie qui triomphe mais la terreur et le chaos. Or qu'avons-nous à proposer? Un modèle républicain qui perd son âme en détruisant la famille, l'éducation, la transmission, en substituant à la laïcité un laïcisme étroit, en enfermant le citoyen dans un individualisme coupé de toute racine. Les peuples du Moyen-Orient ne veulent pas de cela. Faisons d'abord preuve de modestie.
Par ailleurs les communautés chrétiennes ne demandent pas d'abord un soutien politique - même si elles se réjouiront des mesures d'accueil prises, en particulier par la France. Aidons-les surtout à pouvoir rester sur place, à ouvrir des écoles, à faire des études, à cultiver leurs terres, à créer des entreprises, à monter des projets, bref à prendre part à la construction de la société dans laquelle ils habitent. Ne nous résignons pas à leur départ. Aidons-les à bâtir là-bas leur avenir.