Une nouvelle fois, Christiane Taubira se retrouve dans le viseur de la droite, qui réclame sa tête. Mais cette fois, c'est elle-même qui s'est mise dans une situation embarrassante. Envoyée au front lundi soir sur le plateau de TF1 pour répondre aux questions sur les «écoutes Sarkozy», la garde des Sceaux a assuré qu'elle ne savait rien de cette affaire, pourtant hautement sensible, avant d'en être informée par les révélations du Monde, paru le 7 mars.
Aussitôt dit, aussitôt démentie. D'abord par le premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui a reconnu mardi soir que la ministre de la Justice et lui-même avaient été informés le 26 février. Date à laquelle le parquet général a ouvert une instruction judiciaire pour «trafic d'influence et violation du secret de l'instruction», sur la base des écoutes. Ensuite par le procureur général de Paris, François Falletti, qui a assuré mercredi matin sur Europe 1 avoir informé la Chancellerie le 26 février, en lui fournissant des éléments portant aussi sur le contenu de ces écoutes.
En reconnaissant que Taubira et lui savaient, Ayrault reconnaît dans le même temps, et implicitement, que sa garde des Sceaux a menti. Une brèche dans laquelle s'est immédiatement engouffrée la droite, qui a réclamé mercredi matin la démission de la ministre, sa tête de turc depuis sa défense inflexible, selon les uns, courageuse, selon les autres, du mariage pour tous. «La garde des Sceaux a menti, dans ce contexte il n'est pas possible qu'elle reste en fonction», a déclaré Jean-François Copé mercredi matin. «Sa démission face à ce mensonge est inéluctable.»
Piège médiatique
Cette séquence vient entacher la stature d'«icône» de la gauche de la garde des Sceaux, forgée lors des débats autour du mariage pour tous. Taubira avait alors suscité le respect des députés PS, mais aussi de nombreux députés de l'opposition, admiratifs devant sa capacité à tenir en haleine son auditoire, des heures durant, sans aucune note, multipliant avec lyrisme les citations littéraires. «Heureusement qu'on l'a», s'enthousiasmaient alors de nombreux élus et militants socialistes, en quête de «marqueurs de gauche» depuis mai 2012.
Extrêmement prudente, corsetée et sous contrôle, Taubira, qui se méfie de la presse, a pourtant fait très attention depuis vingt mois à ne jamais tomber dans un piège médiatique. Elle a pris garde aussi à ne jamais franchir la ligne jaune, au sein du gouvernement.
Complice de trois autres ministres marqués à gauche (Arnaud Montebourg, Cécile Duflot, Benoit Hamon), avec lesquels elle dinait régulièrement jusqu'à l'automne dernier, la garde des Sceaux avait même refusé de se joindre il y a un an à leur offensive commune contre l'austérité en Europe, sévère en creux contre François Hollande.
Elle trébuche au plus mauvais moment
«Elle a eu du courage sur le mariage pour tous mais elle était missionnée pour cela par le président, analyse un conseiller ministériel, qui la connaît bien. Pour le reste, Taubira, c'est zéro embrouille. Ça fait trente ans qu'elle fait de la politique comme cela. Et ça ne lui a pas trop mal réussi.» Las.
La garde des Sceaux, qui suscite de nombreuses réserves dans le milieu judiciaire qu'elle a braqué à plusieurs reprises ces derniers mois, trébuche au plus mauvais moment, alors que le remaniement du gouvernement est dans toutes les têtes. «Hollande ne sait pas quoi faire de Taubira dans le prochain gouvernement, elle est intouchable», confiait il y a un peu un proche du président. Affaiblie par cette affaire, Taubira l'est moins. «Elle doit présenter son texte justice au Parlement en avril, elle sera considérablement affaiblie», regrette un député PS, qui redoute que «la droite se déchaîne contre elle».
Christiane Taubira a contre-attaqué, mercredi à l'issue du conseil des ministres, en participant exceptionnellement au compte-rendu du Conseil des ministres. La garde des Sceaux a assuré qu'elle n'avait pas menti. «Non, je n'ai pas menti (…) Non, je ne démissionne pas», a-t-elle lancé avec «passion», ironisant sur cette «affaire du siècle». La garde des Sceaux a reconnu avoir été informée de l'ouverture de l'information judiciaire (le 26 février, NDLR) mais répété qu'elle ne savait rien du conteneu de ces écoutes. «Je n'ai pas d'information» sur «la date, la durée et le contenu» des écoutes, a-t-elle insisté.