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C’était il y a 30 ans… les années Gai Pied
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Rétrospective | 10.09.2011 - 09 h 07 | 12 COMMENTAIRES
1987

1987. Une année pas vraiment top dans l’histoire des homos en France. Entre Charles Pasqua qui veut tout interdire, Le Pen qui veut parquer un max de séropos dans ses sidatoriums et Sheila qui revient au top 50, rien de bien folichon. Jusqu’à Dalida qui finit par tirer sa révérence sans prévenir. 1987, au travers de 45 numéros de Gai Pied Hebdo, ça donne quoi alors ?

1987 est donc marquée par la toute puissance de Charles Pasqua. Le 18 mars, le Ministère de l’Intérieur, secondé par Dominique Latournerie, directeur des Libertés publiques, adresse une lettre recommandée à Gai Pied Hebdo (ainsi qu’à d’autres magazines comme L’Echo des Savanes ou Photos), l’informant qu’une procédure d’interdiction est lancée, au nom de la loi du 16 juillet 1949 contre les « publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère licencieux ou pornographique ». L’affaire provoque une grosse émotion. Toute la presse en parle. Même Marie-France Cubada, la présentatrice vedette d’alors, l’annonce au 20 heures de TF1 ! Des politiques montent au créneau, de gauche comme de droite. Une semaine plus tard, le ministre est finalement contraint de faire marche arrière, et la procédure d’interdiction est abandonnée. Le 28 mars, une manifestation se tient à la Bastille, « Contre l’ordre moral, pour la liberté de la presse ». Certains membres du gouvernement, François Léotard en tête, s’accordent à reconnaître qu’il s’est agi là d’une véritable gaffe politique…

Fin avril, Pasqua rebondit. Il installe pour trois jours une « exposition de l’horrible », petit musée du porno, dans un local de 80 m² au sein même du ministère, place Beauvau. Présidents de groupes parlementaires, associations de parents d’élèves et de défense des droits de l’homme et de la femme, journalistes, peuvent consulter photos, revues et petites annonces, afin de « disposer de tous les éléments du débat » ! Et en mai, nouvelle offensive. Cette fois, c’est ce bon vieux minitel qui est dans la ligne de mire. Pasqua, toujours lui, commence par demander aux services de police d’ouvrir une enquête sur la prostitution enfantine sur minitel, afin de « battre en brèche les gros intérêts financiers basés sur l’apologie du sexe ». Le Secrétaire d’Etat aux Postes & Télécommunications, le très ouvert Gérard Longuet, lui emboîte le pas et déclare qu’il n’est pas question de « situer la télématique dans la grande tradition des Folies-Bergères ». Tout en finesse, l’ordre moral s’installe… En décembre le Ministre de l’Intérieur interdit finalement à la vente aux mineurs une quarantaine de publications, dont la moitié se voient aussi interdites d’affichage. Et monsieur Pasqua finit l’année en parlant de mettre fin aux réseaux téléphoniques de rencontre…

En 1987, c’est aussi bien sûr le sida qui s’installe durablement dans le paysage. En début d’année, les derniers chiffres de l’OMS annoncent plus de 15.000 morts depuis 1981. Aux Etats-Unis, ce sont pas moins de 58 nouveaux cas de sida qui ont été enregistrés en moyenne chaque jour aux Etats-Unis durant les trois derniers mois de 1986 ! En France aussi, le nombre de cas de sida déclarés progresse très rapidement : les experts pronostiquent un triplement des cas par rapport à 1986 ; le cap des 2.000 cas est franchi au début de l’été. Au 30 octobre, l’OMS dénombre 62.784 personnes officiellement atteintes dans le monde. Les Etats-Unis sont les premiers touchés (42.354 cas), suivis du Brésil (2.013 cas) puis de la France. Et les statistiques commencent à s’inverser : à New York, la communauté homo n’est plus la principale victime ; il s’agit désormais des drogués par voie intraveineuse…

En France, il faut attendre le mois de mars pour que le Ministère de la Santé autorise l’AZT. La molécule, disponible sur le marché sous le nom de Rétrovir, ne pourra être administrée que par les hôpitaux. Dans le même temps, le gouvernement américain autorise de son côté la mise sur le marché de la DDC. Et après une étude menée pendant six mois aux Etats-Unis, il semblerait qu’un nouveau traitement, la Ribavirine, puisse empêcher le déclenchement du sida. Face à tout cela, l’inquiétude monte au fur et à mesure que de nombreux gais découvrent leur séropositivité. 1500 homos répondent à une enquête de GPH et du CNRS. La capote se généralise, et la proportion de gais ayant fait un test HIV augmente ; 75% des homos disent avoir changé leur sexualité…

Quelques personnes plus ou moins connues s’ajoutent à la liste des victimes du sida. Le pasteur Claude Remy Muess, qui dirigeait la revue théologique « Position luthérienne » et avait autorisé le pasteur Doucé à célébrer la bénédiction d’un couple de lesbiennes. L’acteur Paul Keenan, 30 ans, qui avait notamment joué dans la série Dynasty. Le chanteur Liberace, 69 ans. Jean-Patrick Odent, serveur au Nuage, puis au Bronx, et collaborateur à GPH. Jean-Claude Bancourt, 29 ans, collaborateur au CCL (Centre du Christ Libérateur) du pasteur Doucé. Jean-Paul Gibault, ancien gérant du Manuscrit à Paris…

La Ministre de la Santé du gouvernement de cohabitation, Michèle Barzach, s’engage totalement dans la lutte contre le sida. En janvier, au cours d’une visite à l’association Aides, elle annonce qu’elle nomme le professeur Alain Pompidou (fils de l’ancien Président et chef de service à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris) « monsieur sida » au sein du Ministère. Fin février, le sida est déclaré « grande cause nationale pour l’année 1987 ». Début mars, la Ministre présente un nouveau plan. Les seringues seront désormais en vente libre dans les pharmacies. Une campagne d’information sera menée, par voie de spots télévisés, d’affiches et de distribution de brochures au grand public (« Le sida, il ne passera pas par moi »). Parallèlement, Jacques Chirac annonce à Lyon que 100 millions de francs vont être attribués à la recherche contre le sida. En juin, Michèle Barzach met en place 10 Centres d’information et de surveillance clinique et biologique du sida à travers la France : il s’agit de structures légères de 8 à 10 lits où les consultants seront accueillis pour des soins ponctuels, sans possibilité de dormir sur place. Le but étant d’éviter une hospitalisation pénible et coûteuse à certains malades. Un tiers des 80 laboratoires de l’INSERM vont se reconvertir dans la recherche sur le sida. A Nice, la faculté de médecine crée un diplôme de sidologie…

1987, année de la capote ? En février, le gouvernement français abroge la loi qui interdisait toute publicité en faveur des préservatifs. Le clergé national multiplie alors les déclarations de protestation ! Selon Mgr Vinet, président de la conférence épiscopale française, « les campagnes d’information sur le sida [sont un encouragement à] des rencontres sexuelles prétendues libres, dans lesquelles ceux qui se désirent signifient en même temps, par la protection de préservatifs, qu’ils sont porteurs ou menacés de mort ; cela n’est pas un chemin ouvert à la vie, à l’amour, à l’avenir : c’est un mal ». Autre milieu, même rejet : à Pontoise, le directeur de la maison d’arrêt refuse de distribuer aux prévenus des préservatifs, pourtant fournis par la DDASS. Dans les universités enfin, un sondage national de la MNEF révèle que les deux tiers des étudiants ne sont pas enthousiasmés, voire sont carrément dégoûtés (49,3% et 12%) par l’utilisation du préservatif. Malgré ces oppositions, Michèle Barzach lance en octobre une deuxième campagne d’information sur le sida, axée sur la prévention par le préservatif…

Ailleurs dans le monde, on se mobilise aussi, bien sûr. « Sida : ne mourez pas par ignorance ! » : le gouvernement britannique consacre 20 millions de livres à une campagne d’information sur le sida, et envoie un dépliant d’information à 23 millions de foyers. En octobre, Aides et Médecins du Monde demandent au corps médical internationale de signer leur « Déclaration universelle des droits des malades du sida et des séropositifs », pour lutter contre tous les dérapages constatés : dépistages clandestins, licenciements, problèmes de couverture sociale…

La question du dépistage se pose. L’OMS se déclare contre un dépistage systématique du sida pour les voyageurs à l’entrée d’un pays. En France, Michèle Barzach condamne l’idée d’un dépistage systématique, mais s’y dit favorable à certains « moments clés », à savoir avant toute transplantation d’organe ou toute fécondation in vitro, ainsi que lors de l’examen prénuptial. Et Jacques Crozemarie, président de l’ARC (Association pour la recherche sur le cancer) réclame tout à la fois le dépistage systématique, le contrôle aux frontières et la poursuite de ceux qui propagent le virus. Il explique qu’en effet « le sida n’est pas une maladie comme les autres. Pour l’heure, on ne sait pas la guérir. Il faut prendre des mesures de santé publique »… En Allemagne de l’Ouest, 20 enfants seront contraints en juillet de passer un test de dépistage pour pouvoir partir en colonie de vacances…

L’autre personnage de 1987, ce sera, déjà, Jean-Marie Le Pen et son goût des petites phrases qui alimentent ce qu’on n’appelle pas encore le buzz… En avril, en visite à Lyon, il propose, suivant la proposition du Dr François Bachelot, de « transformer tous les sanatoriums de France en sidatoriums, afin d’isoler les 250.000 sidaïques contagieux ». Rien que ça ! Invité de l’émission politique « L’heure de vérité » sur Antenne 2, le 6 mai, il relance la polémique : « Le sidaïque, j’emploie ce mot-là, c’est un néologisme, il n’est pas très beau, mais je n’en connais pas d’autre, celui-là, il faut bien le dire, est contagieux, par sa transpiration, ses larmes, sa salive, son contact. » Michèle Barzach, Alain Juppé et surtout Michel Noir s’insurgent immédiatement contre ces propos ; Charles Pasqua, Edouard Balladur et Franck Borotra (porte-parole du RPR) s’appliquent quant à eux à minimiser les protestations issues de leur camp ! Mais le mal est fait. Jacques Toubon, secrétaire général du RPR, déclare lui aussi lors d’un débat devant le Conseil Constitutionnel : « Dans la lutte contre le sida, fléau infiniment plus grave que ne le perçoivent nombre de dirigeants français, il faudra bien dépasser les seuls aspects médicaux et sanitaires et poser très clairement la question de la quarantaine ». La lepénisation des esprits, en 1987, déjà…

Certaines voix se font néanmoins entendre. Amenés par les docteurs Silberstein et Attia, un groupe de 300 médecins lancent un appel, intitulé « Sid’aventure », contre le docteur Bachelot, député du FN, qui instrumentalise le sida à des fins de propagande. De leur côté, deux autre médecins, les docteurs Brucker et Maheu, constituent un « Comité Santé-Liberté » pour « répondre aux déclarations inacceptables sur le sida ». Ce à quoi Bachelot répond que ses confrères sont « complices d’un génocide et qu’il va falloir faire immédiatement leur procès moral car ils refusent la survie de la population »…

Ailleurs aussi la situation s’envenime. La Bavière prend des mesures d’exclusion contre les séropositifs et les malades du sida : à l’entrée dans le Land, tout étranger (hors ressortissants de la CEE) devra fournir un certificat de non-séropositivité ; les prostitué(e)s et les drogués devront présenter un certificat à chaque contrôle policier et subir un nouveau test tous les trois mois ; les candidats à la fonction publique, les juges et les futurs notaires devront se soumettre à un test de dépistage  lorsqu’ils se présenteront pour un poste… En Suisse, le Dr Tscholl, médecin d’Argovie, propose de tatouer les séropositifs sous les organes génitaux, afin de les « isoler sexuellement » ! En octobre, le Conseil fédéral helvétique décide d’inscrire le sida dans la liste des maladies sexuellement transmissibles à déclaration obligatoire… Aux Etats-Unis, l’Association Médicale Américaine, dans un communiqué publié par son conseil des affaires éthiques et judiciaires, estime que les médecins ayant été contaminés par le virus du sida devraient désormais s’abstenir de toute activité « pouvant créer un risque de contamination pour les autres »… Et plus près de nous, la mairie de Paris refuse d’embaucher ou de titulariser les personnes présentant une sérologie positive, et soumet tous les candidats à un test de dépistage dès qu’ils sont soupçonnés d’être infectés…

L’autre question du moment, en 1987, c’est le fichage. Alors que les Alpes-Maritimes avaient accepté un projet similaire (avant cependant de faire marche arrière), le Conseil Général des Bouches-du-Rhône refuse un projet de mise en place d’un registre informatisé recensant les séropositifs du département. Mais Jean-Claude Gaudin et le Conseil Régional de PACA allouent finalement un budget de 100.000F aux médecins promoteurs de ce projet. A Washington, un répertoire contenant les noms de plusieurs centaines de personnes ayant subi un test du sida a été volé fin avril ; les autorités craignent que cette liste ne tombe entre les mains de maitres-chanteurs. En Europe, un médecin de Vaestaeras, près de Stockholm, veut quant à lui doter les jeunes suédois d’une carte plastifiée prouvant qu’ils ne sont pas porteurs du VIH ; cette carte serait renouvelable tous les 7 mois…

Peur panique ou simple sérophobie, d’autres réactions encore font penser que, décidément, tout est détraqué en 1987. Le Bildzeitung, quotidien le plus lu en RFA (10 à 12 millions de lecteurs), multiplie les unes sur le sida, « peste du XXe Siècle ». Le 9 février, le journal publie en une la photo de tous les morts célèbres du virus ; au nombre desquels Thierry Le Luron ! Le ministre japonais de la Santé envisage d’interdire les relations sexuelles aux porteurs du virus. Jean-Paul Pigasse, directeur de la rédaction de L’Express, écrit dans les colonnes de l’hebdomadaire : « Une partie de l’intelligentsia occidentale s’efforce d’accréditer l’idée selon laquelle le sida peut frapper n’importe qui, n’importe quand, n’importe où. Or les homosexuels, les drogués et quelques malades auxquels on a transfusé du sang corrompu sont les seuls victimes […] Tenter de prouver qu’il n’existe pas de lien entre le relâchement des mœurs et le sida relève de l’imposture. » Il redoute enfin que « la maladie se transmette à des hommes ou des femmes sains de corps et d’esprit »… A Montrouge, l’association Sida 92 tente d’affoler la population en prétendant dire la vérité aux gens. Son tract, tiré à 35.000 exemplaires, explique que « la salive peut être un vecteur de contamination car le virus n’est pas dissous par les sucs gastriques », et rappelle « l’époque où il suffisait de coucher dans les draps d’un malade atteint de la syphilis pour la contracter. » A Auch enfin, à la demande des avocats et des gendarmes, le Palais de Justice est désinfecté par les services de la DDASS après que deux personnes susceptibles d’être séropositives y ont comparu…

Au-delà du sida, le monde se crispe contre les homos. En Argentine, le gouverneur de la province de Buenos Aires avalise une vieille loi visant à interdire aux homos le droit de vote, pour cause « d’indignité ». L’homosexualité étant interdite dans l’armée US, une trentaine de militaires américains sont renvoyés pour cause d’homosexualité de la base de Soesterberg en Hollande, après que l’état major a soudoyé des soldats gais  pour en faire tomber d’autres. La pratique est habituelle dans les bases américaines, mais les néerlandais s’en émeuvent… Au Royaume-Uni, les conservateurs remportent les élections, et Margareth Thatcher reste au pouvoir ; en octobre, elle accuse la diffusion des droits des homosexuels (par les profs travaillistes, ça va de soi) d’être responsable du déclin du système éducatif…

En France, le mensuel Santé Magazine, dans son numéro consacré aux adolescents, publie un article intitulé « Inversion, perversion : attention, danger ! » où il écrit notamment que « les jeunes connaissent la nature de l’homosexualité, mais ils sont moins bien informés sur la perversité de cette agression. » Parmi les 13 moyens proposés pour éviter la contamination figure « Ne pas être et ne pas avoir été homosexuel ». Tout un programme…  L’hebdomadaire 7 à Paris, de Filipacchi, publie quant à lui un dossier à charge sur le Gay Paris, qui décrit la vie nocturne sexuelle et ses lieux de débauche. A lire le dossier, le lecteur comprend vite que la communauté homo n’a que ce qu’elle mérite : « Autour de ces cadres rangés, c’est l’hécatombe : anciens amants et amis proches tombent sous les coups du HIV. Pour eux, la porte de sortie s’appelle souvent Claude-Bernard, véritable hôpital-mouroir à sidaïques. Ces vieux sages lorgnent vers le passé déchu qui s’écoule à la vitesse des perfusions […] Dure, crue, la nuit, sous ses strass, s’affiche en noir. Ténébreuse et glauque comme le bitume des terrains de chasse. »…

La justice aussi tente quelques incursions sur le terrain de l’ordre moral. A cause des petites annonces de Libération, Serge July est condamné à 5.000F d’amende. Le juge estime que le journal « exploite la sensualité vulgaire d’un certain public. […] Serge July ne pouvait ignorer qu’en favorisant les accouplements avec de nombreux partenaires, il participait ainsi à la recrudescence des maladies sexuellement transmissibles, comme le sida, alors que le corps médical ne cesse d’affirmer que ces accouplements en sont la cause essentielle »… En Belgique, la Cour d’Appel de Liège acquitte finalement Michel Vincineau, patron des saunas « Macho » à Bruxelles et Anvers. Il était jusqu’à présent accusé « d’exploitation de maisons de débauche et de prostitution ». La Cour d’Appel de Bruxelles s’était auparavant discréditée lors d’un jugement précédent de l’affaire en qualifiant l’homosexualité de « dérèglement des mœurs menaçant l’espèce humaine d’extinction » et en estimant que « la formation d’intellectuel et la qualité de professeur de droit auraient dû empêcher Michel Vincineau de se comporter comme il l’a fait. »…

Du côté de la religion, 1987 n’est pas vraiment mieux. Appliquant les directives récentes du Vatican sur l’homosexualité (voir 1986…), Joseph O’Keefe, vicaire général de l’archidiocèse de New York, suspend les messes célébrées par Dignity, un groupement de plus de 5.000 gais et lesbiennes catholiques, à la cathédrale Saint-François-Xavier de Manhattan. Jean-Paul II fait un séjour à San Francisco. S’il accepte de déclarer que « Dieu aime les malades du sida » (trop gentil, JP !), il refuse d’entamer quelque dialogue que ce soit avec la communauté homosexuelle ou d’infléchir ses positions de refus de la capote. Il affrontera des manifestations de gais tout au long de son périple… Au Royaume-Uni, le Synode général de l’Eglise anglicane condamne à nouveau l’acte homosexuel. Il affirme cependant refuser d’exclure les prêtres gais, qui représentent a priori 30% de ses effectifs ; ceci expliquant peut-être cela. Je dis ça, je dis rien… Quelques progrès toute de même. En France, l’Eglise catholique, sous l’égide de Mgr Didier-Léon Marchand, évêque de Valence et président de la commission sociale de l’épiscopat, fait son mea culpa et publie un document de deux pages, « Le sida, de la peur à la solidarité », qui propose de « surmonter l’ignorance et le préjugé, de devenir une communauté de guérison et de réconciliation dans laquelle ceux qui souffrent du sida puissent passer d’un sentiment d’isolement à un sentiment d’unité, de l’impression d’être jugé à celle d’être aimé sans condition […] Le sida n’est pas un châtiment divin ; c’est une maladie qui a ses propres causes. » Et le Vatican est finalement contraint de lever les sanctions prononcées l’année précédente contre Mgr Hunthausen, archevêque de Seattle, auquel il était reproché d’être trop laxiste, notamment avec les homosexuels…

Malgré toutes ces attaques, la « communauté » gaie continue d’avancer. A Paris, une nouvelle association est créée, Aparts, qui ouvre deux appartements de relai thérapeutique et social pour les malades du sida. A la fin de l’été, c’est Agora qui sera créée, une nouvelle fédération d’associations gaies. Et en fin d’année, ce sera enfin la naissance de la Coordination Nationale Homosexuelle, en vue des présidentielles. La CNH va envoyer une lettre ouverte aux candidats aux présidentielles. Elle annonce dès sa création qu’elle se dissoudra dès le soir de l’élection… A Lyon, 150 personnes se réunissent pour fêter les 5 ans de l’Aris. Les soldats gais néerlandais fondent leur association, Homosexualité et forces armées, qui se propose avant tout d’informer et combattre l’intolérance… Fin juin, la Gay Pride réunit 5.000 personnes à Paris, mobilisées derrière un triangle rose barré du fameux mot « sidaïque » de Le Pen. Quelques jours plus tard, ce seront 8.000 personnes qui participeront à une grande fête pour les libertés et contre le sida organisée à Barcelone…

La France est-elle passée à côté de son Stonewall, au beau milieu des célébrations de la prise de la Bastille ? Dans la nuit du 13 au 14 juillet, en plein Marais à Paris, la police débarque rue Vieille-du-Temple à 2h45, pour faire cesser le bal organisé par le bar Le Central. Les fêtards veulent rester. Les forces de l’ordre se mettent en ligne, prêtes à charger, munies de matraques et de bombes lacrymogènes ! La foule reste ferme sur ses positions et scande « Liberté, liberté », avant d’entamer La Marseillaise. La tension monte, mais la police finit par céder. Elle se retire finalement et, à 4h15, le chef de brigade autorise à nouveau la fête ! … Aux Etats-Unis, 700.000 personnes sont rassemblées à Washington le dimanche 11 octobre pour la National march for lesbian and gay rights. Le lendemain, beaucoup de gais et lesbiennes continuent leur mobilisation et manifestent de manière impromptue devant la Cour Suprême, pour exiger l’abrogation des lois anti-sodomie. La police arrête finalement 840 manifestants…

Au-delà de ces mouvements, quelques avancées tout de même en 1987. Le groupe des Verts au Parlement européen demande la création d’une commission permanente chargée d’examiner les droits des homosexuels. En France, le syndicat étudiant UNEF-ID entend désormais lutter contre toutes les discriminations, entre autres celles « basées sur les mœurs ». Le député RPR Michel Hannoun remet un rapport sur le racisme et les discriminations en France. Las. Sur 190 pages, moins de 2 sont consacrées aux homos et aucune proposition n’est avancée sur les questions LGBT. « C’est trop délicat », dira le député pour se justifier ! Certains gais se mobilisent dans leur coin : François et Alain, deux homos en couple depuis six ans, ont demandé et obtenu un certificat de concubinage, délivré par la mairie des Ulis…

La Suède, elle, souffle le chaud et le froid. Dans le cadre d’une nouvelle loi sur le concubinage, hétéros et homos auront désormais les mêmes droits : en cas de rupture, la répartition des biens se fera de façon équitable ; et lors d’un décès, le compagnon pourra conserver les biens immobiliers et mobiliers de son concubin ! De plus, le pays étend sa loi anti-discriminations aux questions « d’orientation homosexuelle ». Mais dans le même temps, une nouvelle loi ordonne la fermeture de lieux facilitant les contacts sexuels…

Et la vie gaie en 1987 ? Plus de 1.000 messageries roses (la plupart hétéros, certes) existent sur le 3615. La guerre est ouverte entre les services minitel pour racoler les clients. Après avoir été créés à New York, puis exportés à Amsterdam où le genre a connu un succès fou, un premier jack-off club est créé à Paris. Courant juin, David Girard inaugure le Megatown, plus grande discothèque gaie de France (2.000 m²), boulevard Magenta à Paris, 20 jours après la fermeture du Haute Tension, son club précédent…

Homos ou hétéros, quelles sont les sorties culturelles de l’année 1987 ? On retiendra, entre autres (ou en tous cas, JE retiendrai à titre personnel), les films Blue Velvet, de David Lynch. Le miraculé, de Jean-Pierre Mocky. Au-revoir les enfants, de Louis MalleLes incorruptibles, de Brian de Palma. Full Metal Jacket, de Stanley Kubrick. Et Maurice, de James Ivory, avec Hugh Grant et James WilbyPatrice Chéreau met en scène « Dans la solitude des champs de coton », de Bernard-Marie Koltès, au théâtre des Amandiers de Nanterre. En juin sort en vidéo le film Le sixième jour, de Youssef Chahine, avec Dalida, qui sera ensuite diffusé en décembre sur Canal Plus…

Côté musique, Mylène Farmer triomphe avec « Libertine » et se pose déjà en figure « décalée » lors de son interview à Gai Pied : « Il m’arrive d’avoir le feu dans les veines. De temps en temps, je suis le Diable ! ». Sheila revient au Top 50. Eric Morena sort son tube « Oh ! Mon bateau ». Madonna enflamme le parc de Sceaux et Nice, et les medias ne parlent que de sa petite culotte… Barbara chante sa nouvelle chanson, « Sid’amour à mort », lors de sa rentrée au théâtre du Châtelet. Les Communards sont en concert à l’Olympia… Au Royaume-Uni, pour récolter des fonds destinés à la recherche contre le sida, les anglais organisent en avril une semaine entière de spectacles à travers tout le pays. Le concert d’ouverture réunit 8.000 personnes à Wembley, venues écouter Elton John, George Michael, Boy George, Jimmy SomervilleJohnny Clegg, le « zoulou blanc », triomphe en Europe. Par contre, la BBC refuse de diffuser le single « I want your sex », de George Michael ; les paroles de la chanson encourageraient en effet les adolescents à faire plus souvent l’amour et à changer fréquemment de partenaires ! De nouveaux talents, enfin, tentent leur chance au hit-parade. David Girard sort son premier 45 tours, « Love affair ». Et l’acteur Rupert Everett, après son single de l’été, « Generation of loneliness », prépare carrément un album. Même pas peur…

L’actualité people de 1987 est dominée par l’affaire Isabelle Adjani. Des spécialistes (anonymes) de l’hôpital de la Timone à Marseille assurent que l’actrice fait soigner un sida et est à l’agonie. Pour faire taire les ragots, la vedette se voit contrainte de venir démentir la rumeur au JT de 20 heures, sur TF1, le dimanche 18 janvier ; malgré ses explications, le doute subsistera. Mais pourquoi donc l’actrice a-t-elle laissé sa main sur sa joue durant tout l’interview ? … Le 22 février, Andy Warhol décède à New York, à 59 ans, d’une crise cardiaque. Elton John porte plainte contre « The Sun », qui l’accusait d’organiser des orgies homosexuelles… Le 3 mai, Dalida met fin à ses jours. La marraine de Fréquence Gaie avait toujours défendu les homos : « Chacun a le droit de vivre et d’aimer qui il veut. Tout le monde a une double sexualité. Tout le monde est homosexuel, de 1 à 100 ». En octobre sortira son tout premier album post-mortem, « Pour en arriver là », déjà produit par Orlando…

Quelques coming-outs remarqués en 1987. Au printemps, le parlementaire américain Barney Frank révèle son homosexualité dans le Boston Globe. En fin d’année, ce sera le tour d’Eric Rollenberg, champion de saut en hauteur hollandais, qui au passage posera nu, en plein saut, dans le journal homo néerlandais Gay Krant… En novembre, c’est un coming-out d’un nouveau genre qui fait beaucoup de bruit en France. Le Nouvel Observateur lance une bombe médiatique en une : « Mon sida », témoignage de Jean-Paul Aron. L’écrivain donne un interview-fleuve à l’hebdomadaire, où il ne cache rien : « Ma vérité, c’est que je suis un faisceau de culpabilités dans lequel l’homosexualité près lourdement mais pas uniquement […] En supplément de la honte, le sida provoque une réaction particulière : la peur jusqu’à la stupidité… On redoute les contacts, les baisers parfaitement inoffensifs […] Je ne voulais pas admettre que j’étais menacé par le sida et que je menaçais les autres. Je reconnais qu’il a fallu un certain temps pour que je prenne des précautions dans l’acte sexuel. Je n’ai accepté de subir le test de dépistage qu’au moment de la première alerte »…

L’année 1987 dans les médias ? A Paris, Fréquence Gaie connaît un destin mouvementé. Elle a cessé depuis septembre 1986 de diffuser des émissions en direct ; seules des bandes musicales enregistrées occupaient l’antenne, dans l’attente que la radio se restructure. C’est chose faite en février : FG recrute une nouvelle directrice des programmes, Marie-Odile Delacour, qui promet de renouveler l’antenne. Le bénévolat est définitivement abandonné, au profit d’une petite équipe de salariés qui travaillera avec des pigistes extérieurs. Jean-Luc Hennig anime désormais une heure de direct quotidien, « 37°2 le soir ». Fin mai, la radio change de nom et devient Futur Génération. Le but étant d’élargir le public et d’aller au-delà des homos, vers des cibles socio-professionnelles plus élevées. Le 24 juillet, la CNCL évince néanmoins FG de la bande FM parisienne. Un mois plus tard, fin août, la radio est finalement autorisée à émettre à nouveau… En Bretagne, sous la pression des catholiques, une radio locale privée, Lorient AVB, finit par mettre fin à son émission sur la sexualité, « Sucre d’orge et croque-monsieur »…

A la télévision, maintenant. En tout début d’année, alors que la sitcom française « Maggie » triomphe sur Antenne 2, l’épisode « L’homo, ça pince », toujours avec Rosy Varte et Jean-Marc Thibault, entonne un vibrant plaidoyer en faveur des homosexuels, malgré les lourdeurs du genre. Début mars, la toute jeune chaîne de télévision musicale, TV6, s’arrête. Le gouvernement de Jacques Chirac ayant lancé la procédure de privatisation de TF1, Gérard Vappereau, directeur de la rédaction de Gai Pied, propose de racheter 8% des parts de la chaîne, et de créer « TVGaie ». La chaîne sera finalement vendue à des maçons plus conformistes, dont l’une des premières initiatives sera de virer Michel Polac, animateur de l’émission Droit de Réponse. A la rentrée de septembre, Christine Ockrent débarque sur la télé privée et fait son retour sur le petit écran, sur TF1 donc, et reçoit François Mitterrand dans sa nouvelle émission, « Le monde en face » ; elle y confronte le Président à plusieurs français, dont Jean-Paul Baggioni, séropositif. En fin d’année, sur Antenne 2, les Dossiers de l’écran proposent une soirée sur le thème du transsexualisme… Aux Pays-Bas enfin, le service (payant) de télétexte sur la télévision propose chaque jour cinq pages de news sur la vie gaie hollandaise et internationale, publiées par le mensuel Gay Krant

En 1987, plusieurs années après son commencement, l’affaire des disparus de Mourmelon commence à faire parler d’elle. Le grand public apprend qu’au total 3 jeunes hommes sont morts, et 5 autres disparus, alors qu’ils faisaient de l’auto-stop entre Mourmelon, Châlons-sur-Marne et Mailly. Patrick Dubois, 19 ans, militaire à Mourmelon-le-Grand, a disparu le 4 janvier 1980. Serge Havet, 20 ans, militaire à Mailly-le-Camp, a disparu le 20 février 1981. Manuel Carvalho, 19 ans, militaire à Mourmelon-le-Grand, a disparu le 7 août 1981. Pascal Sergent, 20 ans, militaire à Mourmelon-le-Grand, a disparu le 23 août 1981. Pascal Denis, 21 ans, qui effectuait une visite à la caserne de Mourmelon-le-Grand, a disparu le 23 août 1985. Pascal Vasseur, en service militaire à Mourmelon, a été quant à lui retrouvé mort dans la Moselle en décembre 1981. Laurent Puypalat a été retrouvé à demi-nu, à quelques centaines de mètres de sa caserne de Châlons-sur-Marne. Et Olivier Donner, 19 ans, militaire lui aussi à Mourmelon, a été retrouvé mort en bordure de la RN77 en octobre 1982… Pour ces trois derniers cas, les médecins légistes avaient conclu à des morts naturelles ! Et l’armée avait manifestement passé l’affaire sous silence… Autre affaire, Thierry Paulin, martiniquais drogué et homo est arrêté à Paris et avoue meurtre de 21 vieilles dames…

Pour finir, quelques news en vrac sur 1987. En juin, on assiste à la maison de couture Christian Lacroix… En septembre, la ville d’Amsterdam inaugure le premier monument de commémoration homosexuelle au monde, qui prend la forme d’un immense triangle de granit rose… A Luxembourg, Marc Grond, qui se présentait avec pour seule étiquette d’être homosexuel, est élu au Conseil municipal en novembre… En France, par contre, Pascal Arrighi, député FN marseillais, dénonce le fait que les candidats à la mairie (Jean-Claude Gaudin, UDF ; Michel Pezet, PS ; Guy Hermier, PC) « manquent de virilité ». Il finira même par déclarer que la cité phocéenne « est dirigée par trois pédales »… En Libye, le colonel Kadhafi explique que le sida est la nouvelle arme terroriste mise au point par les Américains… Et pour finir, Brigitte, une prostituée qui arpentait régulièrement un parking de la RN6 près de Bourgoin-Jallieu, est frappée et menacée par un de ses plus fidèles clients ; ce dernier, qui avait fini par tomber amoureux d’elle, n’a pas supporté d’apprendre qu’elle s’appelait Georges et était toujours un homme ! Triste année que 1987…

A suivre…

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Toulousain d'origine, parisien depuis... bientôt 18 ans. Volontaire et aujourd'hui trésorier adjoint au Centre LGBT Paris Île-de-France, je vous invite tous à venir nous retrouver, pour une question, un conseil, un entretien, un débat, une projection, une visite de la bibliothèque...
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LES réactions (12)
1987
  • Par ALAIN CARRE 27 avr 2013 - 10 H 29

    Merci :) j avais 31 ans en 87 et je passais le plus clair de mes loisirs a aller voir des potes a l hopital avant de les accompagner au crematorium..
    Merci pour la memoires
    Alain

     
  • Par MaBoutiqueLGBT 13 sept 2011 - 14 H 33

    7 ans en 87… On a fait du chemin mais y’a encore du boulot !

     
  • Par Elias 12 sept 2011 - 20 H 34

    J’avais 3 ans en 1987…
    Merci pour ce passionnant blog.

     
  • Par gia 12 sept 2011 - 19 H 20

    Très interessant de voir comment les choses étaient à l’époque. Je suis née fin 87 et heureusement bien des choses ont évoluées. Malheureusement certaines pas encore assez.

     
  • Par luckygirl 12 sept 2011 - 18 H 41

    Dommage pour la mise en forme, ça manque de sous-titres pour rendre la lecture plus agréable… Mais dans le fond la qualité est là ;D

     
  • Par LouisDeYagg 12 sept 2011 - 16 H 10

    Merci beaucoup pour cet article passionnant et émouvant, une fois de plus.

     
  • Par Paul Denton 12 sept 2011 - 14 H 00

    Incroyable, tout ça pour ceux, qui comme moi sont nés pendant cette période. Merci :)

     
  • Par Firefox 12 sept 2011 - 11 H 36

    Cette rétrospective est toujours aussi passionnante. Merci encore.

     
  • Par clydebarrow 12 sept 2011 - 11 H 16

    Moi j’avais 0 ans en 1987, c’était l’année de ma naissance :)

     
  • Par Chapeaupointu aujourd'hui - 21 H 41

    Magnifique article. J’avais 21 ans en 87, j’étais à Paris depuis un an, toutes ces infos, tous ces lieux, tous ces personnages sont à jamais restés gravés dans ma mémoire. Merci.

     
  • Par Tom75 10 sept 2011 - 9 H 11

    Triste année que 1987. Le sida prend de l’ampleur, et le monde entier se crispe contre le virus, contre les séropos, et au final contre les homos. L’occasion pour moi d’apprendre que mon médecin traitant officiel a été à l’origine de l’opération Sid’aventure, contre le sinistre docteur Bachelot. Pasqua, Le Pen, le couple maudit de 1987. Avec ça, l’année ne pouvait pas vraiment être douce et agréable…

     
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