Arles envoyé spécial
Paolo et Hervé sont deux petits gars secs et nerveux, même taille, même âge. A la mairie d'Arles, leurs bureaux respectifs sont distants de quel ques mètres. Un peu plus bas, rue Jaurès, ils ont ouvert leurs permanences électorales, elles se font face. «Un peu comme dans un péplum italien», dit Michel Vauzelle. Ça ne le fait pas rire. Eux non plus. Paolo Toeschi (PS), 46 ans, maire d'Arles, est candidat aux municipales, il mène la liste gauche plurielle. Hervé Schiavetti, 45 ans, son premier adjoint communiste, est aussi candidat, dissident. Sur son nom: il se pense plus populaire que Paolo. Duel de frères ennemis, de dauphins orphelins. Tout ça parce que le père les a abandonnés, un jour du printemps 1998.
Le père, Michel Vauzelle, est bien embêté. Vingt ans qu'il rêvait d'être maire d'Arles. En 1995, enfin, après deux mandats de droite, l'ancien porte-parole de François Mitterrand à l'Elysée accède à ce beau bureau de maire où les pigeons entrent par la fenêtre, l'été. Deux ans plus tard, grâce à la dissolution, il chipe aussi le fauteuil de député de la circonscription. En 1998, le voilà président de la région. Ça fait beaucoup, il y a le cumul. «Déchiré», il abandonne la mairie. Explique qu'il sera, pour Arles, plus utile à la Région; c'est peut-être vrai, mais ça passe toujours mal. A sa place, Vauzelle nomme son deuxième adjoint, Paolo Toeschi, pour que la ville reste au PS. «Le premier adjoint l'a très mal pris, raconte Paolo, immédiatement une sorte de combat a commencé.»
Jusque-là, Toeschi vivait dans l'ombre du père. «Honnête, travailleur, il connaît les dossiers, il est loyal, dit de lui Vauzelle. S'il y en avait eu un meil leur, je l'aurais poussé. Mais, dans le conseil municipal, c'était le mieux à même de me succéder.» Mais il man que de charisme, tranchent certains, et d'expérience aussi: à peine trois ans en politique. A la différence du premier adjoint, Hervé, qui serre des paluches depuis vingt ans. Un paquet de paluches, il paraît. Et ça plaît. «J'ai une faiblesse, j'aime les autres», dit Hervé.
Ambiguïté. Deux fois, en 1997 et 1998, Hervé et Paolo se sont affrontés aux cantonales, à Arles-Ouest, deux fois Paolo a pris une veste. «Je me présentais en bon soldat dans un canton où je suis un illustre inconnu», tempère Paolo. N'empêche: Hervé s'en prendrait bien une troisième rasade, quitte à bafouer les accords nationaux PC-PS, selon lesquels la liste gauche plurielle est conduite par le maire sortant. Devant cette querelle de famille, Michel, le père, a d'abord piqué une grosse colère. Référence au passé: en 1983, Vauzelle a voulu faire pareil, affronter le maire PC de l'épo que, mais la fédé PS lui a interdit, et il a obtempéré, lui.
Alors, l'ancien garde des Sceaux s'est dit qu'un bon coup de tromblon convaincrait le petit Hervé de raser les murs. Et il a menacé le patron du PC dans les Bouches-du-Rhône de retirer toutes les délégations aux conseillers régionaux communistes si Schia vetti ne rentrait pas dans le rang. Pas bien élégant. «Un peu plus rude que nécessaire», reconnaît Vauzelle. Il n'a pas mis ses menaces à exécution. Le PC a tenté de raisonner Schiavetti, Robert Hue est venu à Arles en décembre soutenir Toeschi, rien n'y a fait. Schiavetti tient.
C'est vrai qu'il est un peu seul, un peu vilain petit canard. Mais il joue sa vie, pas contre Vauzelle («ni Toeschi ni moi n'avons sa dimension, c'est pour ça que cette situation se produit»), mais pour lui. Malgré l'ambiguïté: Hervé a voté pour que Paolo soit maire, il a opiné à toutes les délibérations municipales («tout est voté, mais tout est critiqué à l'extérieur», se plaint Paolo). Tout le monde a compris que c'est une affaire de personnes.
Alors, comme Hervé ne risque même pas l'exclusion («au PC, on n'exclut plus, rigole Schiavetti, ça a été trop stigmatisant»), Vauzelle a rengainé son P38, est remonté à cheval. Il se présente en deuxième position sur la liste de Paolo. Ça la fiche mal: s'il est élu, Vauzelle démissionnera dans les trente jours, à cause du cumul. Bonjour le respect de l'électeur, pour un homme qui se pique d'éthi que... Mais il n'a pas le choix: il faut faire pencher la balance côté Paolo, le petit a besoin d'ai de.
Gypsy Kings. «Si Schiavetti se maintient, c'est un luxe qu'il se permet parce qu'il pense que la droite n'est pas en état», affirme un socialiste. Sur le papier, la droite n'est effectivement pas brillante: en manque de personnalité, elle est menée par un ancien chef d'entreprise de 66 ans, Jean Vernet, ex-patron des croisiè res Paquet, un novice en politique, conseiller municipal depuis 1995. «Homme distingué, personnage aimable, mais pas un foudre de guerre», tranche Vauzelle. «Si l'envergure que l'on me dénie se juge par comparaison aux professionnels de la politique, j'admets quelques années de retard concernant le nombre de poignées de main serrées et de promesses électorales non tenues», répond l'intéressé, qui joue la carte des déçus de la politique: il n'appartient à aucun parti, même s'il est soutenu par une union RPR-RPF-DL-UDF, et met surtout en avant ses compétences de gestion d'entreprise.
Autres prétendants: les chasseurs. A Arles, ils pèsent lourd, et leur présence au scrutin «est le résultat immédiat du vote de la loi du 28 juin 2000», dite loi Voynet, selon Jean-Marie Scifo, 46 ans, qui mène une liste Chasse Pêche Nature Tradition. CPNT affiche 400 adhérents sur la ville, la société de chasse du candidat en a mille, et, aux européennes de 1999, la liste CPNT avait réalisé 15,2 %. Selon Jean-Marie Scifo, son électorat se divise en trois tiers (PC, PS, divers droite), ce qui garantirait sa «neutralité». Enfin, Chico Bouchikhi, 46 ans, le chanteur des Gypsy King et ambassadeur de l'Unesco pour la paix, s'est lancé dans la bataille. «Déçu de Vauzelle», le créateur de Djobi, Djoba se présente comme «le haut-parleur de la rue». «Et la rue me dit qu'Arles a servi aux ambitions de Michel Vauzelle pour avoir un siège à Marseille et à Paris.» La rue, du moins celle qui vote, dira surtout, au soir du premier tour, lequel des deux frères ennemis de la gauche reste au sol.