S’il est une catégorie de photos qui commencent sérieusement à m’indisposer, c’est celles montrant un pêcheur hilare tenant dans ses mains humides un poisson qu’il vient de capturer. (Je sais que je vais me faire des ennemis avec ce préambule, mais je m’en moque !) Je ne sais pas pourquoi, mais ces images conventionnelles, vues et revues mille et mille fois, me font penser irrémédiablement à un gros vicieux faisant voir sa bite à la sortie de l’école avec une petite bulle sortant de la tête du type, comme dans les bandes dessinées, bulle dans laquelle serait écrit : « T’as vu un peu la taille de mon poireau ? »

C’est pourquoi aujourd’hui je prend ma pointe Bic et vous raconte une histoire inverse, une vraie histoire de bredouille retentissante et magnifique.

C’était, comme aiment à le dire mes amis Cheyennes « il y a de nombreuses lunes », Cyril et moi nous nous étions donnés rendez-vous à Perpignan, ville célèbre par sa fameuse gare chantée par Dali le génial bouffon. C’est chez l’ami Jaume ( Miguel Touron ) que nous nous précipitâmmes. La raison en est bien simple : Jaume connaît toutes les truites des Pyrénées par leurs petits noms et tous les cailloux des rivières comme les pages des livres de sa librairie catalane. En outre, ajoutez à ça qu’il peut vous écrire un ouvrage de 350 pages sur les hameçons préhistoriques du Sud Zambèze ou les lignes de pêche du XIIIe siècle fabriquées à partir des intestins de raton laveur. Et que sa librairie ressemble à une officine secrète où se rassembleraient, les nuits sans lune, toutes sortes de faux et de vrais terroristes d’une improbable bande à Bonnot contemporaine. En bref, un haut lieu de magie ou, sous chaque magasine peut se cacher un détonateur suisse (les meilleurs paraît-il !)

Après de longs palabres indispensables, tradition oblige, notre ami catalan nous indique sur une carte ( certainement codée ) un ruisseau où les truites sont énormes, nombreuses, aventureuses, prête à jouer avec des néophytes comme nous. Ah ! mais faut les mériter ces merveilles car, c’est en Espagne, à 500 km de Perpignan qu’il nous faudra nous rendre.

Cyril, lui, les longues distances en automobiles il s’en moque éperdument. Il en raffolerait plutôt. Et nous voilà partis, ma belle femme, votre serviteur et le Cyril qui pilote son bolide comme un avion de chasse Mystère 4 : à fond la gomme !.

Le voyage est merveilleux. Nous nous racontons les pires bêtises, les blagues les plus éculés, visionnant avec ravissement sur la route nationale, des prostituées splendides allongées sur des transats, lisant certainement des poèmes de Féderico Garcia lorca, de Machado ou peut-être même de Spinoza. En bref, 500 km d’un tel bonheur que je me demande aujourd’hui si le plaisir de la pêche, finalement c’est ça, tout bonnement : être avec un parfait ami avec qui on va pouvoir dire des idioties avec la plus grande candeur, des tonnes de conneries énormes et gracieuses comme seuls les enfants se le permettent.

Et puis, arrivés dans la région indiquée par notre ami, nous nous rendons compte que ses indications, pourtant en français , étaient, ou bien vagues ou alors que notre attention s’était relâchée au moment opportun, car il nous faut tourner et revenir et retourner encore 1000 fois avant de tomber sur un ruisseau aux allures de bouches d’égout.

C’est la ?…Ben, il me semble !

Et alors, ce coup du soir, il vient où pas ?

Au bout d’une bonne heure d’attente… le premier gobage et puis un second et la flotte se met à bouillir de gobages et bien sûr nous somme excités comme une meute de chiens de chasse reniflant l’odeur du renard.

Toutes les mouches des boîtes de Cyril y sont passées (et mon ami avait amené de quoi remplir un magasin de pêche de boîtes de mouches les plus belles et exotiques qui soient !)

Pas un seul de ces satanés poissons n’en a voulu et pourtant, Dieu sait qu’on s’appliquait. Des lancés courbes, des en zigzague, des en accordéon chromatique, des en sauts de puce. …que sais-je encore. ..rien de rien !

La nuit était déjà tombée quand nous reprîmes la route en sens inverse.

Mais Cyril connaissait tous les meilleurs restaurants de la région. (Il connaît sans doute tous les meilleurs restaurants du monde !) Un simple petit détour de 100 km et ce fut un repas mémorable, remplit d’autres blagues et conneries à faire dresser les cheveux sur la tête. Merveilleux.

Et voilà, c’est pour vous dire que des bredouilles comme ça, je vous en souhaite d’aussi belles pour la nouvelle année.

Et par pitié. .. épargnez-moi de photos pornographiques de gros poissons haletants dans vos bras humides. Merci par avance.