Nicolas Bonnemaison - Itinéraire d’un palliativiste perdu ?
"Je m'appelle Nicolas Bonnemaison et je suis actuellement sans profession
C’est l’histoire d’une passion. D’un engouement et d’une chute. D’un rêve d’enfant qui a fini par devenir réalité, puis par l’outrepasser. Nicolas Bonnemaison, c’est ce petit garçon d’Hasparren, près de Bayonne, qui avait décidé, « aussi longtemps qu’il s’en souvienne », qu’il serait médecin. Constamment fourré à la clinique de son chirurgien de père, où il venait faire ses devoirs, il avait fait des soignants sa « deuxième famille » ; et assez vite, il y avait joué, comme sa mère, infirmière, les aides opératoires de son père. C’est cet adolescent qui décidait de redoubler son année de troisième pour pouvoir passer en section scientifique ; de redoubler sa première année de médecine pour essayer d’avoir son concours ; puis de la tripler pour conjurer le sort qui l’avait fait tomber longuement malade, à quelques mois des épreuves. Obtenir enfin le sésame pour des études qui le mèneraient au titre de docteur avait été « l’une des joies les plus fortes de (sa) vie ».
« Je m’appelle Nicolas Bonnemaison. J’ai 53 ans et je suis actuellement sans profession ». Trente-deux ans plus tard, elle est d’autant plus dure, la façon dont il est amené à décliner son identité, à l’orée de son procès. Nicolas Bonnemaison n’est plus médecin. Il a été inculpé par la justice pour empoisonnement sur personne vulnérable et, dans l’attente d’un jugement, ce sont ses pairs qui l’ont radié. C’est cette douleur qui transparaît dans ses premières déclarations, hier, avant qu’il ne se lance dans un exposé fouillé de son parcours. La médecine, c’est « toute » sa vie. « Je m’y suis consacré entièrement ». Destructivement, semble-t-il aussi, jusqu’à l’épuisement.
En dehors de la médecine, il n’y a qu’une chose qui compte : sa femme et ses deux petites filles. Il a des airs de petit garçon, quand, derrière ces nouvelles lunettes rondes qui mangent son visage, pâle et très lisse, il regarde sa femme, Julie, une jolie brune, vigoureuse et franche, prendre à son tour la parole, le défendre et lui dire son amour. « Je suis fière d’être la femme du docteur Bonnemaison », a-t-elle lancé à la Cour, très digne, la voix légèrement étranglée, et revendiquant de lui donner son titre. « J’espère que tout cela va bien se finir. J’ai confiance en vous. »
La carrière de Nicolas Bonnemaison s’est bâtie aux urgences, et s’est poursuive par sa prise croissante de responsabilités. A la fin des années 80, le métier d’urgentiste devient une spécialité médicale, les unités sont en pleine structuration ; c’est lui qui œuvre au développement de celle de l’hôpital de Bayonne. Il en construit le projet, et en devient le chef en 2004. Dans un service où l’interventionnisme prime, axé sur la survie à tout prix, il est l’un des rares qui ait acquis une compétence auprès de ceux pour qui il n'y a plus qu'à mourir. A l’heure actuelle, seuls 10% des urgentistes, pourtant de plus en plus confrontės aux fins de vie, ont eu une formation en soins palliatifs.
Mais Bonnemaison, lui, fait partie de ceux de la première heure. A une époque où ce savoir-faire, qui est aussi une philosophie, commence tout juste à se développer dans quelques milieux spécialisés, il a choisi de suivre le diplôme de soins palliatifs qui s’ouvrait à Bordeaux en 1987. Il avait côtoyé la mort de près dans ses stages, auprès des malades du cancer notamment, avait vu l'ampleur de la tâche, alors « ç’a m’a paru une évidence, et après, j’ai été beaucoup plus armé. » Sa thèse de médecine, il la consacre à l’analyse d’une enquête portant sur la perception, le vécu et l’isolement des soignants face à la fin de vie. Et puis il conçoit un projet d’une équipe palliative qui puisse agir au sein de l’hôpital de Bayonne ; équipe qui se mettra en place un peu plus tard, tandis que lui s’investit aux urgences.
Bonnemaison va aussi travailler quelque temps au sein de l’équipe, naissante, des prélèvements d’organes. Après le diagnostic de mort cérébrale, mais quand le corps vit encore, c’est lui qui est chargé d’approcher les familles pour obtenir le don. Il fait cela avec passion. S’occupe des proches sur plusieurs jours – « jusqu’à la chambre mortuaire », dira sa femme, qui travaille au sein du même hôpital. Et il s’arrange pour leur obtenir, encore des années après, des nouvelles du malade que leur geste a permis de sauver. « On reste en lien, et cela leur fait du bien de savoir comment va le patient greffé », commente-t-il.
Bref, l’homme est particulièrement engagé dans son métier. Il est fragile aussi. On évoque le décès de son père par suicide, une liaison destructrice de deux ans, son burn-out professionnel, ses nombreux arrêts de travail pour dépression, et le traitement qu’il suit encore à ce jour. En 2011, il va mieux ; il a repris une activité avec moins de responsabilités, et il est heureux, nous dit Julie Bonnemaison, qui le soutient, et qui a refusé de juger ses écarts conjugaux, comme elle refuse d’évaluer les décisions professionnelles de l’homme qu’elle a choisi.
Lorsqu'il s'est présenté devant la Cour, mercredi, c'est du sens de l'accompagnement de fin de vie qu'il a d'emblée voulu parler. De ces « moments forts qui marquent non seulement le médecin, mais l’homme ». Et de son aspiration à soigner les familles, « à leur expliquer ce qui est en train de se passer, à jouer le rôle d’un trait d’union entre toutes les parties, parce que ce sont elles qui vont rester, après, et que tout cela est déterminant pour qu’un deuil puisse se faire de façon la plus sereine possible ». Etrange Bonnemaison, chez qui on découvre, le matin, tout l’esprit des soins palliatifs. Il en développe la logique, il en utilise les références et en connaît les priorités. Et dont le discours l’après-midi, dérape soudain, comme s’il en avait malgré lui inversé les valeurs.
En 2011, sept patients, arrivés dans son unité au seuil de la mort, déjà dans un état comateux et sans souffrance apparente, seraient morts d’une injection administrée de sa main, à l’insu des familles et des autres soignants. Une première journée d’audience a fait apparaître douloureusement ses contradictions. Ne pas prévenir les proches de ses décisions, c’était pour dit-il, « ne pas leur faire porter la responsabilité de ce qui advenait au malade ». Ne pas instaurer de discussion avec l’équipe soignante relevait d’un souci de « ne pas les mettre en difficulté morale ».
Etonnant, quand on sait que c’est lorsque les gestes médicaux ne sont pas explicités et expliqués aux infirmières qu’il y a le plus de souffrance professionnelle. Bonnemaison dit avoir utilisé le curare, qui donne une mort immédiate, parce qu’ « il n’est jamais certain que les patients ne souffrent pas psychiquement de se voir mourir, même s’ils sont dans le coma ». Audible, chez qui prétendrait que la loi est insuffisante dans sa forme actuelle. Mais plus difficilement chez celui qui prétend l’avoir appliquée. Car toute l’ambiguité est là : Bonnemaison ne promeut pas l’euthanasie. Quelque part sur le chemin de ses idéaux, l’enfant semble s'être perdu.
Photo : Bob Edme/AP/SIPA
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